Le Village du Peuple Etrange Voyageur

pour nos pensées, nos petites histoires et nos joutes littéraires autour des voyages


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    Debriefing II

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    Debriefing II - Page 3 Empty Re: Debriefing II

    Message par geob Ven 10 Mar - 9:35


    Ah je suis sûr que la rencontre de Karin et Lilie aurait fait des étincelles !
    Et moi, je suis rendu compte de mon énorme bourde : j'ai écrit anthropologue au lieu... d'archéologue ! C'est Voulzy qui m'a déconcentré !
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    Message par Lilie Ven 10 Mar - 9:58

    Ca va, t'as pas mis "podologue"! rire

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    Message par geob Ven 24 Mar - 4:54

    DEUX ALLEMANDES




                                                      II    
                                               
                       

    Karin, une archéologue qui écoute du metal  

     
                            ( suite et fin)      


                   Ce  matin là, leur dernier matin à Chian House, Karin et Willi sont assis à leur table habituelle, proche de la piscine. Je m'installe près de Willi. Karin, en face de son compagnon, a son grand carnet noir -Moleskine?- posé devant elle. As-tu écrit ce matin? Non, me dit-elle, avec une moue et un haussement d'épaules qui veulent dire que cela n'a aucune importance. Son travail est si prenant, elle voyage donc pour ne s'obliger à rien, se laisser vivre le plus agréablement possible, loin de Ratisbonne. Se laisser vivre ne veut pas dire pour elle ne pas avoir de projets. Ainsi, en fin de matinée, ils s'en retourneront à Chiang Maï pour louer une grosse moto, ensuite ils se rendront au Cambodge jusqu'à Angkor Vat. Sacré périple, Willi est un vrai motard,  il assure sur la route.

    On parle, on papote, souvenirs comme des bulles de savon sous un soleil déjà chaud. Tout est éphémère, apprécions ces moments qui nous donnent l'impression de ne s'être jamais séparé, demain sera un autre jour. Mais voici le vieil australien qui est sorti de sa chambre, il passe entre la table et la piscine, ahanant, efforts pénibles pour faire avancer son corps encombrant engoncé dans sa salopette "coluchienne". Il nous voit, me voit, s'arrête, redresse sa face rougeaude aux joues rondes, et se lance dans sa diatribe mécanique, et surtout vaine. Puis, tout à coup, il change de physionomie, déclenche un sourire mielleux pour s'informer de la santé de Karin (en anglais).
    - Comment ça va ce matin?
    Et elle lui répond. Ce n'est pas une réponse convenue, je sens que Karin est crispée, qu'elle force sa nature, et je vois même du rouge sur ses joues. Oh Karin, comme le rouge te va si bien aux joues !  Et le vieil homme, lui, reste bouché bée, il a l'air abasourdi. Au bout d'une vingtaine de secondes,  il s'en va sans dire un mot. Karin se remet face à nous,  elle me regarde et, encore sous le coup d'une visible colère, elle me traduit ce qu'elle lui a dit. Voici en résumé ce qu'elle lui a balancé :

    Moi, je vais très bien, mais toi tu te comportes mal en disant des choses dégueulasses alors que tu ne sais rien de la Thaïlande, tu ferais mieux de te taire. Lorsque on ne sait rien, on la ferme. J'aime pas tes propos stupides, tu es un ignorant et j'aime pas qu'on insulte mes amis...


    Oh bon dieu ! Paradoxalement, je reste froid, imperturbable, je ne la remercie même pas, je suis tellement ébahi que cela m'aide à contenir une grande émotion qui affleure aux bords de mes lèvres. Je voudrais tant la serrer dans mes bras, juste un remerciement muet, sans pathos. C'est si inattendu ce qu'elle vient de faire, si fort, si déterminé.  Et moi je reste muet, ne sachant que dire, alors Karin, après un silence comme un arrêt sur images, se met à parler en allemand avec Willi, sans doute lui explique-t-elle ce qui s'est passé, puis nous reprenons notre conversation malencontreusement interrompu par le vieil homme.


    Lorsque nous nous sommes quittés, j'avais le cœur qui battait fort, c'était peut être la dernière fois que nous nous voyions. A l'hiver prochain, qui sait? Mais avec le temps qui fuit, se sauve, celui du calendrier où les jours s'arrachent feuille par feuille, déchire notre vie, et celui qui dépose des bombes à retardement dans nos artères, se dire à la prochaine devient de plus en plus aléatoire... quitte ou double? Si un soir un Ratisbonne tu prends le temps de jeter un coup d’œil sur ces lignes, Karin sache que j'ai dit aux amis, en leur racontant ta colère, ma satisfaction d'être revenu à Chiang Rai : tu m'as offert un rare cadeau en prenant ma défense ! Tu es la deuxième femme dans ma vie a avoir eu ce culot, ce courage, et toi aussi tu es allemande ! Une scène que je n'oublierai jamais ! Ah Karin, je ne connais même pas ton nom de famille, après tout ce sont les rencontres de voyage éphémères les plus belles, et c'est pourquoi, en définitive, nous restons étrangers  l'un à l'autre, comme dans le poème d'Antoine Pol "Les passantes".

    http://actu-aux-poetes.forumactif.fr/t859-antoine-pol-les-passantes



    Tandis que j'écrivais ces lignes, une chanson est venue accompagner mes journées, même sur la moto je la chantonnais dis donc ! Pourtant, je l'ai écoutée si peu, et puis il y a si longtemps, c'est "Karine Redinger". "Redinger", Je trouve que cela t'irait bien, comme tes longs cheveux noirs qui brillent dans ma mémoire.        

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    Message par geob Ven 21 Avr - 10:50

    Exorcisme

    I



    Tous les samedis soirs, à Chiang Rai, je me rendais au "walking market" : il se déroule sur une rue orientée est-ouest fermée à la circulation, sur au moins un kilomètre, avec les stands au milieu et sur les côtés le long des trottoirs. Il y en a un autre le dimanche, dans un quartier excentré, mais je n'y ai jamais mis les pieds - en fait, c'est juste le marché qui se déplace.  Chaque week-end, dans ces deux quartiers, on retrouve donc toujours les mêmes stands, les mêmes marchandises et les mêmes vendeurs, et pourtant il y a toujours du monde. Chiang Raï n'est pas une grosse ville, elle doit avoir dans les soixante dix milles habitants, cela n'empêche pas un succès de fréquentation : les gens ne se lassent pas de tourner autour de l'îlot central formé par les stands au milieu de la rue, ils se laissent porter par le courant humain qui coule doucement, toujours dans le sens des aiguilles d'une montre - cela ne veut pas dire que c'est obligatoire, mais, avec la pratique, on réalise à quel point c'est pénible de déambuler à contre courant.

    Tous les samedis soirs, je me laissais porter par le courant jusqu'à l'endroit où il y a les stands... de massage ! Cela se passe donc en public, aucune importance car, tout en se faisant masser, on voit les gens qui déambulent, l'animation en général, et moi j'aime bien me faire masser les pieds tout en observant les thaïlandais, rarement seuls, toujours en famille ou avec des amis.

    Un samedi soir, donc, j'arrivai tranquillement devant ces stands où une activité intense m'indiquait que je n'étais pas prêt de me faire tripoter les pieds. Les thaïlandais et les touristes asiatiques aiment bien cela - quelques rares farangs aussi-, alors, plutôt que faire demi-tour, j'allai jusqu'au bout de lla rue adjacente où ils s'installent, vers le dernier stand. Et là, il y avait juste  une touriste occidentale en train de se faire masser. On me proposa de m'installer à côté d'elle, ce que je fis sans hésitation, et prit place sur le transat -ou chaise longue- près d'elle. Elle était ravie...  mais surtout jeune, jolie, souriante, illuminée par une joie de vivre  communicative que je ressentis aussitôt dès nos premiers échanges - un thaïlandais posa un tabouret devant mes pieds surelevés, et commença son office, tout en écoutant notre conversation qui semblait l'intéresser.

    C'était une canadienne qui ne parlait que parcimonieusement le français, surtout lorsque elle se rendait compte que je ne la comprenais pas toujours. Bon, tous les canadiens ne sont pas québécois, en tout cas elle me charmait par sa joie d’exister, du coup je m’efforçais  de me faire comprendre dans mon sabir anglais parfois loufoque. Elle avait vingt ans. Elle rejeta l'étiquette de touriste : elle était en Thaïlande parce qu'elle était missionnaire ! Missionnaire? A 20 ans? Elle me disait cela joyeusement, moi je riais, je riais sans me moquer, juste parce que je trouvais cela tellement incroyable, cela me procurait aussi, j'ose à peine l'écrire, de la joie, au point de me sentir heureux, léger, sans soucis. Elle voyageait avec ses amis, aussi missionnaires, qui n'allaient pas tarder la rejoindre après s'être baladé dans le marché. Et moi? Moi? Je passe les hivers à Chiang Rai, et je me fais masser les pieds parce que cela me soulage le dos. Le sourire s'effaça de son visage, elle eut l'air peiné. Voulez-vous qu'avec mes amis nous priions pour vous?  Je fus surpris par cette proposition inattendue, incongrue en ce lieu public, alors j'eus un instant d'hésitation, après tout elle me semblait tellement sincère, cette jolie missionnaire, que je n'eus pas le cœur de lui refuser ce à quoi elle avait décidé de consacrer sa vie. Oui, bon, une petite prière ça ne mange pas de pain, et puis pas envie de la vexer, de l'humilier par un refus de mécréant invétéré. Justement, les jeunes gens qui venaient d'arriver devant nous étaient ses amis : deux garçons, une fille, tous souriants, heureux de vivre, bruyants. Ils affichaient tous une beauté insolente, surtout la fille, une blonde aux cheveux courts et bouclés qui semblait être le soleil de ce groupe tant son charisme les irradiait. Ma voisine de massage me présenta ainsi : c'est un français, il a mal au dos, il accepte que l'on prie pour lui. Ouh la ! Il se trouve que son amie parlait bien le français, elle s'est approchée de moi, à la hauteur de mon épaule droite - j'étais donc toujours avachi sur cette chaise longue, et le thaïlandais me massait toujours un pied, tandis que ma voisine remettait ses tongs car un des jeunes gens, sans doute celui qui tenait la caisse commune, paya la demi-heure de massage à son masseur. (une heure  140 baths, une demie-heure 70 baths, il vaut mieux prendre une heure c'est beaucoup plus efficace). Certes, elle s'exprimait très bien en français, mais avec une voix forte, tonitruante ; elle n'était pas vraiment discrète, pas timide du tout, au contraire de moi qui  m’inquiétait de devenir l'objet d'une telle sollicitude de la part de ces missionnaires en goguette. Elle me demanda de confirmer si je voulais subir leur prière, bien entendu elle n'avait pas dit "subir", seulement je pressentais que cela allait être le cas et que j'étais mal embarqué, en fait, j'étais coincé, avachi sur cette chaise longue, j'étais dans l’impossibilité de prendre  la poudre d'escampette, alors, lâchement, non, non, pas lâchement, disons surtout par gentillesse, une gentillesse excessive, toujours dans l'optique de ne pas les vexer inutilement, j'acceptai.

    Je n'aurais pas dû...
    Lilie
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    Message par Lilie Ven 21 Avr - 15:35

    Te voilà bien embarquer sur ta chaise longue, Geob!... Et nous avec! rire

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    Message par geob Mar 9 Mai - 10:47

    Exorcisme


    II


    Lorsque j'imagine tous les paramètres d'une situation dans laquelle je devrais me dépatouiller, cela se déroule toujours exactement comme je ne l'avais pas prévu. Ainsi, après avoir accepter cette offre charitable de prier pour moi, je ne m'attendais à ce qui allait suivre. La missionnaire qui parlait francais resta près de mon épaule droite, celle qui venait de se faire masser se positionna près de mon épaule gauche, et chacune posa une main légère sur mes épaules accueillantes tandis que leurs amis, les deux jeunes gens athlétiques qu'on aurait dit sortis tout droit d'une université américaine, s'agenouillèrent de part et d'autre de la chaise longue en posant chacun une main sur mes tibias - non, en fait ils mirent leurs mains sur le bois de la chaise longue car le thaïlandais, très gêné par ce bouleversement de ses habitudes, continuait néanmoins à me masser un pied.

    Oh non ! C'était quoi, ce cirque? Cette mise en scène dont je ne pouvais deviner la finalité me laissa pantois,  et puis tout à coup  une sourde inquiétude me gagna : dans quel pétrin je m'étais fourré?

    Alors la prière commença, mais pas discrète, vraiment pas du tout discrète. La voix puissante de la missionnaire près de mon épaule droite s'éleva dans la nuit de Chiang Raï, tandis que celle sur ma gauche me parut bien timide, et les autres, à mes pieds, je n'entendais rien, ils marmonnaient sans doute. Bon sang ! Oh ce vacarme ! Et les thaïlandais qui se faisaient masser jetaient un œil curieux avant de se repencher sur les écrans de leurs smartphones. Et moi, je m'enfonçais de plus en plus sur la chaise longue, je ne désirais pas devenir le centre de l'attention des thaïlandais, oubliant qu'ils ne se mêlent jamais des affaires des autres, je voulais juste me dissoudre, disparaître, sous cette voix chargée de décibels agressifs qui semblaient vouloir m'écraser, me réduire à néant. Je levai la tête pour observer la vociférante missionnaire : mon angle de vue en contre plongée me la rendait encore plus impressionnante : elle avait les yeux fermés, elle me paraissait en transes, habitée par je ne sais quelle force diabolique.... oui, diabolique, car je ne comprenais absolument rien à cette prière claironnée dans une langue bizarre, étrange, dont je ne savais déterminer sa provenance. C'était quoi cette langue, bon sang, je ressentais de plus en plus un profond malaise quand, soudain, le film "L'Exorciste" s'afficha dans ma mémoire. Que l'on se souvienne quand la possédée hurlait dans une langue ancienne, qui se perdait dans la nuit des temps : c'était le diable qui abreuvait d'injures le prêtre ! Oh nom d'un chien ! Ca craint ! Même mon masseur me paraissait visiblement inquiet, la tête enfouie entre ses épaules, les yeux hagards. Cétait bien ma veine ! Pour une foi que je laissais Dieu entrer dans ma vie, c'était le diable qui s'invitait !

    Enfin, cela finit par s'arrêter. Le calme après la tempête ! Aussitôt, la ténor de ce quator de missionnaires enjoués, aux dents parfaites et bien blanches, me demanda, avec un sourire satisfait,  si j'allais mieux. Le service après vente, quoi ! Pour ne pas la décevoir - décidemment, je suis trop gentil -, je répondis prudemment :
    - Je verrai demain matin !
    Alors, enchantée par ma réponse, elle lança à la cantonnade, enfin je veux dire à ses amis :
    - Il a dit qu'il verra demain s'il va mieux.
    Elle affichait cette fois-ci un grand sourire ravageur, elle n'avait l'air de douter de rien, et pour elle, et sans doute aussi les autres, demain j'irai mieux. Mais ce n'était pas ça qui m'intéressait, une question me démangeait :
    - Vous avez prié dans quelle langue, je n'ai pas su déterminer l'origine.
    - Ce n'est pas la langue d'un pays étranger, dit-elle fièrement. C'est l'esprit sain qui parlait dans ma bouche ! Cela vient naturellement, je le laisse s'exprimer, c'est lui qui choisit, je transmets.
    - Ah... d'accord, d'accord...

    Oh putain ! Cet "esprit sain" m'avait bien mis mal à l'aise !

    Lorsqu'ils dégagèrent de mon espace pour continuer leur vadrouille dans le marché, mon masseur et moi nous pûmes respirer, nous relaxer. J'eus l'impression de sortir d'une épreuve sportive exigeante, d'une douche bienfaisante, pour éprouver à ce point ce sentiment de bien être et de légèreté incomparables. Bizarrement, j'eus aussi cette impression, évidemment fausse, qu'il n'y avait plus personne autour de nous, rien que le silence. Petit à petit, je retrouvais ma plénitude malmenée par ce quarteron de missionnaires canadiens, mon regard errait à droite, à gauche, parfois je croisais celui du masseur : Il avait le visage de quelqu'un qui venait d'assister à un spectacle épouvantable, je voyais qu'il pensait toujours à ces barjots de Dieu, alors je ne fus surpris par sa réaction rétroactive : "Missionnary !" dit-il. Et il éclata de rire... avant de vite reprendre son sérieux.

    Je finis par regagner mon hôtel. Cette nuit là, je dormis très bien. Et le lendemain matin, je constatai que Dieu n'avait pas toujours pas frappé à la porte de ma vie.

    Ah ces charlatans de l'espoir !
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    Message par geob Mar 30 Mai - 11:13


    Saupa, ma sœur cadette



                                                           

      I
                                                   
                                                  Happy New Year !



    Saupa, ma sœur cadette

    Dorénavant, nous savons que Saupa a un patron. Un sale type ! C'est un thaï du sud, la peau toute cuivrée. Il possède beaucoup de terrains près du parc national, autour des sources d'eau chaude de Ban Phasoet, et bien sûr celui, au bord de la rivière Kok, que nous avons longtemps cru appartenir à Saupa. Il change tout, fait construire de nouveaux bâtiments, donne des ordres aux ouvriers la chemise ouverte, ventripotent, appuyé sur sa canne, parfois il l'enlève, sa chemise,  et reste torse nu devant eux et Saupa, ce qui n'est très typique d'un comportement habituel chez un thaï, mais sans doute veut-il montrer qu'l possède le capital et qu'il se comporte par conséquent comme il veut. Quand Saupa nous accueille avec un visage fatigué, sans sourire, on sait qu'il est là et qu'il veille à l'empêcher de faire une petite sieste réparatrice. Lorsque Saupa nous amènent les serviettes de bain pour les sources d'eau chaude, le visage ouvert, souriant, on devine qu'il est reparti vers son sud - ah s'il pouvait ne plus revenir !

    Pendant la période du nouvel an, Saupa eut une semaine tranquille : plus d'ouvriers, le patron avait pris sa voiture pour regagner le sud, au sud de Bangkok exactement, ainsi elle retrouva la tranquillité de son univers.

    Lors de ma première visite de l'année, Saupa m'accueillit chaleureusement. Il y avait déjà des clients, des thaïs visiblement très bourgeois. Je vis sur le vieux frigidaire des présents, un signe de la tradition respectée : il est de bon ton de ne pas arriver les mains vides durant cette période. Je me suis dis que la prochaine fois, il me faudra venir avec quelque chose, surtout que Saupa me précisa que son mari préparait un BQ pour la fin de la semaine. Que lui offrir? Quelque chose de simple, ne suscitant aucune interprétation erronée ou fantasmatique, juste un petit geste, rien que pour lui montrer que je la considère et que je l'estime. J'allai dans un supermarché de Chiang Rai, et je jetai mon dévolu sur une boite de biscuits, une boite métallique très colorée avec des carrés remplis de dessins sympathiques, et entourée d'un ruban bleu - il y avait du choix, autre que des boites de biscuits, c'est vraiment la coutume d'offrir un cadeau durant cette période, et je ne fus pas le seul au milieu de ces thaïs qui hésitaient, comparaient les prix.

    Le surlendemain, me revoici à Ban Phasoet. En entrant sur le terrain où se trouve le restaurant de Saupa, au bord de la rivière Kok, je sentis tout de suite les fumées du B.Q. Les poulets étaient plantés sur des longs morceaux de bois - c'est toujours le mari de Saupa qui les prépare -, eux-mêmes plantés dans la terre pour que la volaille cuise au dessus d'une grosse bûche qui se consumait lentement.

    Saupa vint à ma rencontre avec une serviette de bain. Salutations habituelles, et je lui tendis négligemment le sac en plastique qui contenait mon présent. Lorsque on offre quelque chose à un thaïlandais, il ne faut pas s'attendre à une effusion de remerciements, non, il dira merci, certes, ensuite il passera à autre chose. Mais là, je fus déstabilisé par la réaction de Saupa. D'abord son visage se figea en prenant le sac, puis ses yeux devinrent humides en découvrant la boite pleine de couleurs. Elle n'arrivait pas à réaliser. C'est pour moi? me demanda-t-elle. Oui, oui, c'est pour toi ! Oh nom de dieu ! Cette joie, ce bonheur qui irradièrent son visage ! Je ne savais plus où me mettre ! Des clients thaïlandais qui mangeaient des poulets frits se tournèrent vers nous. Saupa leur montra la boite, parla du "farang" qui venait régulièrement mangé chez elle, et les thaïs me regardèrent avec sympathie. Elle posa la boite sur le vieux frigidaire brinquebalant, au milieu des deux ou trois cadeaux qu'elle avait déjà reçu, mais elle admira le mien au plus haut point parce qu'il banalisait les autres. Saupa se sentait gratifiée, ce simple petit geste la rendait heureuse. Et d'ailleurs, au cours des semaines qui suivront, la boite trônera longtemps sur le frigidaire, elle m'en parlera plusieurs fois, en appréciera le contenu, et, encore plus surprenant, la montrera aux amis qui viennent de temps avec moi déjeuner chez elle. Mais le plus poignant, ce fut le jour où elle m'indiqua que les autres cadeaux provenaient aussi des farangs, des expatriés mariés avec des thaïlandaises, et donc aucun de la part des thaïlandais en personne.

    Je partis prendre un bain, un peu hagard. A mon retour, je mis la serviette de bain sur la machine à laver et, avant de m'attabler, je pris une bouteille de bière (63 cl) dans le frigidaire, bien décidé à faire monter mon addition. Je commandai un demi-poulet - ils ne sont pas gros-, avec de la salade, des "man farang", c'est à dire des frites.

    Tandis que je me restaurais, Saupa débarrassa la table où les thaïs avaient déjeuné. Peut-être ai-je tort, mais je ne la vois jamais comme une femme heureuse, ou alors comme quelqu'un en bonne santé. Durant le mois de novembre, je l'ai vu pendant quelques jours avec des boutons, des plaques brunes sur le visage, l'avant bras, et elle m'a montré les médicaments qu'elle prenait ; bien entendu, j'ai été incapable de comprendre ce qu'elle avait car ici, comme dans pas mal d'autres pays, on donne les médicaments pour une période donnée, sans boite et sans notice, donc un regard étranger ne peut deviner ce que contiennent ces pilules, ces gélules - elle finira par guérir.

    Mon déjeuner de "Happy new year" fut excellent, il était temps pour moi de rentrer. Saupa ! Combien je te dois?  Elle s'approcha de moi. John, me dit-elle, parce qu'elle m'appelle John, Georges c'est trop difficile pour les thaïlandais, Geo, non, Georges, Geon... bon, simplifions, o.k pour John. John, me dit-elle, c'est pour moi !  Mais non, m'offusquai-je, il n'en ait pas question. Elle repoussa mon billet. Ça me fait plaisir, dit-elle la main sur le cœur, car Saupa a un cœur énorme.  Je la vois tous les deux jours, tous les deux jours je viens "chez Laurette", alors elle sait bien que je ne la considère pas comme simplement une restauratrice, elle veut donc que nos rapports soient égaux, et, en l’occurrence, ce jour là elle répondait à mon geste par un autre. Bien entendu, et c'est tant mieux, les autres jours je paye normalement, elle ne va tout de même me nourrir, et d'ailleurs elle comprend très bien que je ne viendrais plus la voir dans ce cas là. Saupa ne lit pas, sauf dans les âmes : elle a une grande sensibilité, des intuitions qui me surprennent.

    Je remis mon blouson, pris mon sac. En passant devant le vieux frigidaire, Saupa, le visage rayonnant, me montra la boite de biscuits, à côté d'une tablette de chocolat "Lindt", et un petit panier de fruits. Elle déplaça mon cadeau, juste quelques centimètres, enfin juste pour le toucher, me sembla-t-il, en lissant le ruban bleu qui l'entourait, comme si elle avait du mal à réaliser mon geste, et moi jamais je n'aurais  imaginé qu'il eût pu avoir cette répercussion, déclencher une telle émotion.

    Sur la route de Chiang Rai, je roulai doucement, très doucement. Parfois, j'eus l'impression d'avoir de la poussière dans les yeux.
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    Message par geob Dim 18 Juin - 17:09

    Saupa, ma sœur cadette


                                                         

    II




                                   

     Saupa et la carte du monde.


    Parfois, il m'arrive de m'étonner de l'ignorance de Saupa sur le monde : elle ne sait pas où situer l'Amérique, l'Europe, et elle connait à peine son pays, son histoire, sa production culturelle - elle ne parlera pas de littérature, de cinéma,  ce n'est pas sa vie et cela ne le sera jamais, quant à s'éloigner de Ban Phasaoet, il ne faut pas y compter, non, cela ne l'intéresse pas d'aller voir ailleurs, sa vie est ici et pas dans un ailleurs incertain où elle n'aurait plus ses repères. On devine bien que tout n'a pas été facile pour elle, qu'elle n'a pas vécu comme une bourgeoise des quartiers aisés, avec des relations mondaines convenues mais utiles au cas où, des sorties le week end avec ses amis ; autant dire aussi que  la notion de loisirs lui est complètement étrangère... John ! il faut que je travaille tous les jours !  Ceci dit, Saupa a une intelligence pragmatique, elle doit certainement avoir des objectifs, des buts dans sa vie. Ainsi, lorsqu'elle arrive à ses fins, la joie se lit sur son visage. Un jour, elle nous a fait comprendre qu'elle venait de s'acheter une maison, elle nous a pas dit "mon mari et moi", non, elle, elle seule a acheté cette maison, c'est la sienne, ça lui appartient.

    Et il y eu ce début d'après midi où, ayant une nouvelle fois marqué mon étonnement dont je ne me souviens plus la raison ou à propos de quoi, elle m'a raconté son enfance difficile, guère confortable, et hors de l'école, car Saupa était une enfant de la terre et des rizières, soumise aux exigences des saisons, des récoltes, du travail les pieds dans la boue, sans oublier ces longues heures passées dans l'eau jusqu'aux mollets, le dos courbé, pendant le repiquage du riz ; comment donc ensuite aurait-elle pu avoir eu la force et la volonté d'ouvrir un livre, étudier, alors qu'une fatigue écrasante suscitait chez elle surtout un énorme besoin vital de  dormir, même sur une natte posée sur le sol. En écoutant Saupa, j'ai évité de faire des commentaires, elle me renvoyait à mon relatif confort, à ma sécurité sociale, à ma pension de retraite,  elle, elle travaillera tant qu'elle tiendra debout puisqu'elle n'est pas fonctionnaire, policière ou membre de l'armée. Et Saupa, si prude, si réservé, si timide et pudique, m'a surpris ce jour là en posant son pied sur le banc en face de moi, de l'autre côté de la longue table, comme si elle voulait m'apporter une preuve que je demandais pas, puis elle a relevé le bas de son pantalon pour me montrer son mollet : j'ai vu comme des scarifications, peut être des cicatrices dues aux herbes coupantes, des traces brunes, sans doute le souvenir cuisant de sangsues voraces, en tout cas ce n'était pas beau à voir.

    Lorsque je suis parti, j'ai décidé que je reviendrais la voir avec une carte du monde, rien que pour lui permettre de situer son pays, lui montrer aussi les distances avec la France, bref, je voulais voir sa réaction, lire sur son visage  l'étonnement, la surprise peut être.

    Je n'ai pas été déçu.

    Deux jours plus tard, après avoir garé la moto à côté du restaurant, j'ai trouvé Saupa en compagnie de trois farangs. Elle m'a tendu une serviette de bain et m'a dit qu'elle ne comprenait pas ce voulait exactement ces trois personnes - Saupa ne parle pas anglais-, si ils continuaient vers Chaing Rai par la rivière, ou s'ils étaient intéressé par le pick-up de son mari qui devait se rendre en ville le lendemain matin.  Ils venaient de débarquer, en provenance de Thaton, et ils avaient eu la bonne idée de ne pas passer devant ce bâtiment sans accepter l'invitation de Saupa à jeter un coup d’œil à son menu - la plupart du temps, elle essaie de convaincre les rares touristes qui traversent son terrain pour se rendre aus sources d'eau chaude de manger chez elle. Heureusement pour moi, il y avait une française, une belge (qui ressemblait beaucoup à Valérie Mairesse... jeune), et un québécois insignifiant. Tandis que je commençais à les renseigner, j'ai tendu négligemment la carte du monde, protégée par un emballage plastique, à Saupa qui n'en revenait pas. C'est pour moi? Mais oui ! Un léger sourire a donné un peu de lumière sur son visage, et elle s'est éloignée de nous. Je l'ai observé subrepticement, tout en parlant avec les trois blancs. Une nouvelle fois, grâce à moi, Saupa aura des clients pour le soir, ils dormiront même dans le bâtiment annexe -la guest house gérée par elle- qui donne sur la petite route qui nous sépare des sources d'eau chaude, et, cerise sur le gâteau pour eux, ils iront le lendemain matin à Chiang Rai dans le pick-up du mari de Saupa. Gratuitement ! Bon, leur ai-je dit, je vais lui expliquer que vous dormez ici ce soir et que vous irez en ville avec son mari.

    Saupa s'était assise à l'écart. Elle n'avait pas entièrement dépliée la carte, et elle la regardait... à l'envers. Je lui ai dit gentiment qu'il ne fallait pas la regarder comme ça. Ensuite, j'ai entièrement étalé la carte sur la table. Elle était vraiment comme une enfant qui découvrait le monde : tout à coup, elle semblait se rendre compte de son immensité, elle découvrait ce dont la télévision ne lui parlait pas... bon, faut dire aussi qu'elle ne se passionne que pour les matchs de boxe thaïlandaise - cette frêle personne est capable de vous flanquer son poing dans la gueule avec une rapidité incroyable.

    Je n'ai jamais bien compris combien de temps Saupa a pu fréquenter l'école, de toutes les manières l'école thaïlandaise n'existe pas pour former des citoyens capables de réfléchir, d'avoir un sens critique, par contre elle excelle dans la formation d'êtres humains respectueux de l'autorité du roi, du pays, du drapeau, et elle leur inculque que la Thaïlande est le pays le plus merveilleux du monde et qu'il n'y a pas mieux ailleurs.

    John ! Montre moi la Thaïlande ! Alors je lui ai montré son pays, cette petite tache rose perdue dans l'immensité du monde. C'est la Thaïlande? Oui, c'est la Thaïlande ! Ah...  Son visage est resté grave, sérieux, concentré, comme une élève appliquée qui découvre une réalité qui ne lui avait jamais été révélée. J'ai senti en elle une déception, elle s'imaginait que son pays était sans doute plus vaste. Elle a mis son doigt sur une immense tache jaune vers le nord. C'est la Russie, lui ai-je dis. Son regard est resté quelques secondes dessus. Bon sang ! Que c'était grand par rapport à son pays ! Voici la France Saupa, il faut douze heures de vol pour venir te voir ! Elle m'a regardé avec un petit sourire, et de nouveau elle s'est penchée sur cette vaste étendue de couleurs, sur tous ces pays où elle n'ira jamais...
    geob
    geob


    Debriefing II - Page 3 Empty Re: Debriefing II

    Message par geob Jeu 13 Juil - 10:35

    Saupa, ma sœur cadette

       

                                                   
                                                       

    III


    Ma honorable sœur, née après moi.


    Ne me  demandez pas pourquoi mon esprit se baladait encore dans la Chine de l'époque Tang,  si bien racontée par Robert Van Gulik, lorsque je garai ma moto à côté de celle du mari de Saupa. Le mari de Saupa n'y était pour rien, en fait je ne cherche pas d'explications, si n'est la place importante que tiennent les livres dans ma vie, et ce depuis mon plus jeune âge : je me souviens des grandes vacances, des après midi brûlants que je passais enfermé, volets clos pour se protéger de la chaleur, en lisant des livres de la "Bibliothèque Verte" dont le héros se nommait le  "Lieutenant X", et aussi les aventures de d'une bande de gamins, des "gones" de Lyon, me semble-t-il, tout en buvant une menthe à l'eau avec une mégadose de sirop bien vert où flottaient les glaçons qui tintinnabulaient contre le verre, à chaque gorgée. Bon, je ne vais pas m'attarder sur les livres  puisque ils me sont consubstantiels - j'ai  quitté la "Bibliothèque Verte" rapidement pour passer à autre chose de plus conséquent ! -, mais ce jour là, sur la route de Ban Phasoet, la tête dangereusement ailleurs, mon esprit ne cessait de vagabonder au milieu des foules chinoises, toujours actives et débrouillardes, mais soumises devant le Juge Ti qui, par sa personne, incarnait l'ordre et la grandeur de la Chine, sous les auspices de l'auguste représentant du ciel qui siégeait dans la capitale. Ce personnage  a existé sous l'époque Tang, redécouvert par un sinologue réputé qui a imaginé des affaires criminelles en se basant sur des textes anciens et donc, cerise sur le gâteau, en lisant les œuvres de Van Gulick,  nous apprenons comment se déroulait une enquête, nous découvrons le fonctionnement d'une séance du tribunal et son rôle politique et social, les risques personnels du Juge s'il commettait une injustice, la société au quotidien où n'importe quel citoyen pouvait demander l'intervention du magistrat : il lui suffisait de frapper sur le gong placé à l'entrée du tribunal et il n'attendait pas des mois pour qu'on le reçoive ! Quand le juge Ti s'adressait à un de ses collègues, selon leur rapport à leur l'âge respectif, il employait cette formule de mutuel respect : "honorable frère né après moi", ou "honorable frère né avant moi" et dès mes premières lectures de Robert Van Gulik, ce respect, cette exquise politesse, m'ont tout de suite emballé par contraste avec cette société vulgaire dans laquelle je survis.

    Lorsque je me suis avancé vers le restaurant de Saupa, je constatai que Lostdo m'avait devancé : il était déjà attablé devant sa bière, il échangeait quelques mots avec Saupa. Il m'apeçut. Tiens ! le voilà ! dit-il. Saupa se retourna, alors, rien que pour le plaisir de la surprendre, je la saluai en placant mon poing gauche fermé dans la paume de ma main droite, avec une formule sino-thaïe inattendue pour elle :
    - Niao ! Nongsao ! (bonjour, en chinois, et soeur cadette en thaï)
    Surprise, elle a gloussé :
    - Oh John !

    Qu'est-ce que le temps passe vite quand on ne fait rien ! Se rendre chez Saupa, c'était comme rendre visite chez "Laurette" ! Prendre la serviette de toilette qu'elle m'avait préparée, se baigner dans une cabine individuelle, revenir et poser la serviette sur la vielle machine à laver brinquebalante qui trône à l'extérieur, puis manger le plat qu'elle cuisinait rapidement, mais plus jamais accompagné de riz, j'en avais marre, alors elle me proposait sur une autre assiette  ce qu'il n'y avait pas sur son menu, à savoir de la salade verte, en prevenance de son petit jardin qu'elle cultivait rien que pour elle, elle ajoutait tomates et morceaux d'ananas. A vrai dire, elle me gâtait pour... 1€ ! Parfois, je la laissai décider de ce que j'allais manger, après tout, l'essentiel pour moi, c'était de profiter de ce lieu tranquille, au bord de la rivière Kok, et de m'enchanter de la gentillesse de Saupa.

    Bientôt le mois d'avril. Tu pars quand? Alors je lui ai dis le jour de ma dernière visite. Elle était fatiguée, Saupa, la présence de son patron la rendait malheureuse, et je le voyais sur son visage où il n'y avait plus la lumière de son doux sourire - c'est à dire l'exact opposé du "fameux sourire thai". A mon antépultnétienne et avant dernière visite, elle me tendit la serviette de bain en me disant de manger chez la Akha ou dans le parc des sources d'eau chaude. Le marchand ambulant de légumes et de fruits avait eu une panne sur son véhicule, il ne pouvait rien livrer chez elle,  du coup, m'avait-t-elle dit, elle n'avait pas le nécessaire pour cuisiner, et puis l'agitation des ouvriers qui finissaient le bâtiment, à côté du restaurant, n'incitait personne à venir s'assoir et attendre dans le bruit et la poussière sa commande. A mon avant dernière visite, elle me demanda de confirmer le jour de ma dernière visite, je te ferais à manger m'avait-t-elle promis. A vrai dire, qu'elle le fît ou non, je savais qu'elle me préparreait la serviette de bain, toujours avec gentillesse, rien que pour me rendre service, sans rien attendre en retour.

    Ma dernière visite, à mon grand regret. Tiens, Saupa semblait absente, je ne la voyais pas. En tout cas, une nouvelle fois, elle n'avait pas oublié de mettre en évidence une serviette de bain pour moi. Tant pis, j'irai manger ailleurs. Mais ça m'emmerdait quelque part, je m'étonnais que Saupa ne tint pas sa promesse. Je jetai un coup d'oeil derrière ce qui servait de comptoir, un espace ouvert aux quatre vents, comme le restaurant, mais pour Saupa c'est l'endroit - jusqu'à quand?- où elle peut se reposer, regarder les matches de boxe thai en poussant des petits cris troublants. Et je la vis. Elle était allongée sur une natte, elle sommeillait. Sur le coup, je fus gêné de la voir ainsi, mais je n'eus pas le temps de faire demi tour, son horrible chien, toujours enchaîné remua sa chaine en se dirigeant vers moi. Saupa se dressa et se rendit compte de ma présence.
    - Oh ! John !
    - Je vais aux bains!  m'empressai-je de dire, et je partis vite fait.

    Bon, ce n'est pas grave, mon dernier repas, et bien il se fera ailleurs.

    A mon retour, je me suis dis je dépose la serviette sur la machine à laver, et je me tire en lui disant peut être à l'hiver prochain. Mais Saupa m'attendait, il y avait même son mari,  très peu disert avec moi. Cette fois-ci, il me demanda mon jour de départ pour la France, et, bizarrement, il sembla le regretter. Et tout en lui parlant, je remarquai deux assiettes sur la longue table du restaurant. Dans l'une, il y avait des feuilles de salade et des tomates, séparées par des tranches d'ananas magnifiquement découpée, et dans l'autre des morceaux de poulet frits dans une chapelure craquante - excellent ! (ça, c'est dans le menu).

    Saupa avait tenu parole.

    Je déposai ma serviette de bain sur la vieille machine à laver, pour la dernière fois. Avant de m'assoir, j'ouvris l'antique frigidaire pour prendre une bouteille d'eau. Saupa vint à côté de moi, avec l'allure d'une petite fille intimidée. Mince alors !
    - John ! dit-elle. Aujourd'hui, pour toi c'est gratuit, tu ne payes pas.
    Emu, troublé, je lui en demandai la raison.
    - C'est pour te souhaiter bonne chance !

    Bon dieu ! Combien de fois on me lance tu en as pas marre d'aller toujours au même endroit, tu pourrais aller voir ailleurs ! Pour la plupart des gens, voyager c'est comme feuilleter un magazine avec de jolies photos en couleurs, et ensuite raconter qu'on a fait tel ou pays, mais les gens, tu les as rencontrés?  Qu'est-ce qu'ils t'ont dit? Oh non, pas besoin de s'emmerder, on a le G.P.S. ! Bref, voyager c'est garder son quant à soi, et surtout ne jamais se coltiner avec cet autochtone, cet étranger et son étrange culture.

    Saupa vint s'assoir à côté de moi, enfin, en respectant une certaine distance, toujours en contrôle émotionnel, sauf la fois où, à ma grande stupéfaction, elle pleura devant moi la mort de son chat. Je la sentais troublée, différente des autres jours. Trois touristes allemands se pointèrent, accompagnée d'une thaïlanddaise qui semblait être l'épouse de l'un d'entre eux. Saupa se leva pour leur proposer le menu. Ils avaient tous plus de cinquante ans, et d'ailleurs j'ai toujours vu des gens dans cette tranche d'âge s'arrêtaient ici, les plus jeunes hésitent beaucoup en passant à côté du restaurant qui n'a pas l'air d'en être un.

    Je m'attardai, c'était difficile de partir, je ne voulais pas rater ma sortie. Saupa revint s'assoir sur mon banc, elle me demanda quand je reviendrais. Je ne me hasardai pas à lui débiter une tranche de philosophie, c'était au delà de mes compétences dans la langue thaï, autrement je lui aurais dit qu'à mon âge, j'avais rayé le mot avenir de mon vocabulaire. Une nouvelle fois, elle se leva, les allemands commandaient encore. Ensuite, elle resta sur son tabouret, près de ce qui lui sert de comptoir, et où de là elle peut voir les matches de boxe-thaïe sur sa petite et vieille télévision. Mais cette fois-ci, elle devait avoir la tête ailleurs, son poste de télévision n'était pas allumé. Elle échangea quelques mots avec sa compatriote, elles se marrèrent un peu.

    Allez ! Lève toi ! Cela ne sert à rien d'attendre. D'attendre quoi? Le déluge? Il faut partir, c'est tout. Je pris mon sac et je m'approchai de Saupa. Elle se mit debout. Ses yeux humides brillaient mais pas de joie, ni de tristesse, elle essayait de cacher ses émotions derrière son joli sourire. Une dernière fois, elle me demanda le jour exact de mon départ pour Paris. A vrai dire, moi aussi je devais avoir les yeux qui brillaient, et je savais que je ne devais pas commettre d'impair, juste me comporter comme un thaïlandais. J'y vais, lui dis-je enfin.  Alors Saupa réussit à me surprendre au dela de tout, et j'en fus profondément touché,  littéralement scotché. . Saupa, si réservée, si pudique,  joignit ses mains, s'inclina respectueusement devant moi en disant d'une voix douce, de tout son cœur :
    - Au revoir, frère aîné !
    Dolma
    Dolma


    Localisation : Je m'balade sur les chemins...

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    Message par Dolma Jeu 13 Juil - 12:57

    Jolie et touchante histoire que celle du frère aîné et de la soeur cadette.
    La suite au prochain hiver alors ?

    fabizan
    fabizan


    Localisation : Sainte Enimie Lozère

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    Message par fabizan Jeu 13 Juil - 13:13

    geob a écrit:

    Bon dieu ! Combien de fois on me lance tu en as pas marre d'aller toujours au même endroit, tu pourrais aller voir ailleurs ! Pour la plupart des gens, voyager c'est comme feuilleter un magazine avec de jolies photos en couleurs, et ensuite raconter qu'on a fait tel ou pays, mais les gens, tu les as rencontrés?  Qu'est-ce qu'ils t'ont dit? Oh non, pas besoin de s'emmerder, on a le G.P.S. ! Bref, voyager c'est garder son quant à soi, et surtout ne jamais se coltiner avec cet autochtone, cet étranger et son étrange culture.


    J'aime bien moi aller toujours au même endroit, si on se sent bien et que l'on est heureux, je ne vois pas pourquoi aller ailleurs sourire

    J'aime bien aussi tes histoires Geob sourire


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    Fabienne
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    Message par geob Dim 16 Juil - 16:39

    A chaque fois, j'y vais à reculons parce que je me dis, ou je crains la fois de trop, d'avoir la sensation de tourner en rond. Mais comme tout est changement, différence, je découvre encore de nouveaux parcours, j'assiste à des événements inattendus, j'éprouve des émotions et, comme des amis, le sentiment d'être vivant !


    "J'aime bien aussi tes histoires Geob sourire"


    Ah ! C'est donc toi !  rire

    Bon, j'ai remarqué aussi que tu as une grande ouverture d'esprit !
    geob
    geob


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    Message par geob Lun 13 Nov - 4:36


    Fontaine, je ne boirai pas de ton eau...



    Et à chaque fois, c'est la même chose : partir, c'est comme... laisser ses pantoufles chez soi , rompre avec un environnement familier tout de même pacifique, une facilité de vie puisque tout est à portée de la main. La veille de mon départ, je dors très mal, je me réveille cinq ou six fois dans la nuit, et cette crainte de ne pas entendre le réveil me taraude l'esprit, je me vois obliger de courir pour ne pas rater l'avion, et en fin de compte je le rate !

    Et à chaque fois, c'est la même chose : les contrôles aéroportuaires deviennent de plus en plus sophistiqués, "courtelinesques" parfois, mais tous les pouvoirs politiques disent merci aux terroristes de nous avoir pourri la vie pour des décades d'années, ils en profitent ainsi pour accentuer le contrôle social des populations, et ce dans le monde entier, à un point tel quue cela devient naturel pour la plupart des gens, des gens qui ne veulent voir ou savoir, ils vous diront toujours qu'après tout ils n'ont rien à se reprocher, d'ailleurs nous allons de plus nous contrôler nous même, pas besoin de force coercitive, d'obligation : si vous ne présentez pas votre passeport biométique au lecteur automatique, les portes ne s'ouvriront pas, mais, une fois ouvertes, vous êtes dans un sas, alors il faut sourire au petit oeil rouge qui vous suggère de lui montrer votre gueule, d'enlever vos lunettes, sinon vous n'aurez pas accès à la zone de fouille des bagages.

    Chaque année je m'exaspère, je m'agace, je m'interroge : pourquoi partir? Je ne sais pas... ouh ! n'importe quoi ! tu pars parce qu'il le faut ! Rien d'autre à dire, si ce n'est de me rappeler qu'Alexendra David Neel avait renouvelé son passeport à l'âge de 100 ans ! Alors, encore une fois, tu radotes, tu ressasses, mais tu ne cèdes pas... Madadayo ! (pas fini). Pourtant, te dit-on, tu vas toujours au même endroit et donc voilà bien une routine, une routine dont tu targues de ne pas y succomber. Ne vous en déplaise, je le confirme : rien n'est jamais pareil ! Même si l'envie me prenait de me complaire dans mes habitudes, celles ci finissent toujours par se dérober, comme si elles me signifiaient de ne pas compter sur elles pour vivre dans des certitudes, finalement similaires aux tranquillisants chimiques.

    Me revoici à Chiang Rai. Moi qui croyait ne plus jamais revenir chez Chian House... faut jamais dire "Fontaine, je ne boirai pas de ton eau". Je me suis pris bien tard pour réserver une chambre au "Piman", du coup je me suis replié dans la guest house qui m'a accueilli durant toutes ces années passées. Avec réticence. Depuis un an, elle était gérée par un couple franco-thaï, d'une façon malhabile, pas très commerciale, c'est le moins que l'on puisse dire. A peine arrivée, je sens un climat étrange, genre fin de saison on ferme ! La thaïlandaise, qui parle français, m'informe qu'ils arrêtent la gérance et que monsieur et madame Chian reprennent les affaires en main. Pas possible ! Énorme surprise ! Elle ne l'avait dit à personne ! Deux heures plus tard, madame Chian me donne l'accolade à l'américaine. Merde alors ! On est vachement synchrone : je reviens, et les Chian aussi...

    ... Le même jour !

    Skyrgamur
    Skyrgamur


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    Message par Skyrgamur Lun 13 Nov - 11:15

    Bon séjour "chez toi" Géob


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    Message par geob Lun 20 Nov - 3:46

    Léon, le petit savoyard


    Malgré un été pour moi abominable, jamais je n'aurais imaginé te revoir Léon, et revivre ainsi notre mémorable virée à moto avec tes parents, sans oublier notre "crapahutage" nocturne sur le Pu Chi Fa, vers les 4h du matin, enfin dans la nuit, l'heure où on est si bien au lit,  d'ailleurs toi tu dormais entre les bras de Maria, sous une couverture, bien à l'abri, tandis que moi je trébuchais en pestant contre moi-même, contre ces pierres qui se dérobaient avec un malin plaisir sous mes chaussures, comme si elles se moquaient de mes pas  de citadin précautionneux  - que veux-tu, j'ai plus l'habitude d'arpenter le bitume des villes que  les chemins escarpés des montagnes. Quelle nuit ! Quel souvenir inoubliable ! Mais toi, tu n'avais que neuf mois, et, bien sûr, aujourd'hui tu ne te rappelles de rien. D'ailleurs, quand tu m'as vu arriver dans ton chalet en Savoie, tu étais tout intimidé, tu te demandais qui je pouvais bien être, mais le matin de mon départ pour m'en retourner à Paris, tu m'as demandé : dis quand tu reviens?  On se reverra peut être, Léon,  quelque part en Asie... enfin, si la santé est bonne, parce qu'à mon âge on est plus près de la fin du voyage que du départ.

    Sur la terrasse de ton immense chalet, recouverte d'une vigne en guise de tonnelle,  j'ai eu un accueil vibrionnant de Griotte, un épagneul breton, une femelle précisément.

    Debriefing II - Page 3 P1000410

    Il parait qu'elle t'a beaucoup aidé lorsque tu apprenais à marcher. Je t'imagine t'agrippant à son collier, t'appuyant sur elle, et elle mesurant ses pas pour ne pas te faire tomber.

    Debriefing II - Page 3 P1000110

    M'étonne pas ! Quelle patience ! Quelle intelligence aussi ! Comme c'est un animal de la campagne, de la montagne, de la nature,  eh bien elle vit au naturel, tout le temps dehors, même s'il y a une chape de neige sur le toit de sa niche, ce n'est pas la bébête qu'on dorlote, à qui on fait des "mamours", elle est respectée dans son état de chienne qui aime courir dans la forêt, les prairies et les flancs abrupts, les bosquets et les chemins qui disparaissent sous la végétation. Je l'ai vue à l’œuvre quand, le lendemain, nous sommes montés au vieux chalet avec le 4x4 de ton père, vers 1750 mètres d'altitude. ?Oh ! J'oublie le chat ! Oui, il y a aussi le chat !  Un chat qui mène sa vie de chat, et c'est le seul qui peut entrer dans la maison. C'est un chat qui ne bouffe pas des boites de conserves, il se nourrit de ce que la nature peut lui offrir : oiseaux, souris, lézards...  Au fond, considérer les animaux pour ce qu'ils sont, tout en leur prodiguant une bienveillance et une affection de bon aloi, donc sans se répandre dans un anthropomorphisme écœurant, alors, oui, j'appelle ça respecter l'animal.


    Grâce à toi, Léon, j'ai découvert une région que je ne connaissais pas : la Savoie. Enfin, un petit bout de la Savoie, juste une approche paresseuse, un survol. D'ailleurs, je n'ai pas fait de la marche, plutôt du 4x4, c'est tout de même plus confortable et ça use moins les chaussures, et puis, comme sur une moto, ton père Patrick assure au volant- j'ajoute que c'est marrant de voir la tronche des randonneurs qui doivent s'écarter devant nous, je veux parler de la fois où nous avons roulé sur des pistes abruptes qui deviennent des pistes de ski l'hiver.

    Nous sommes montés au chalet où vous avez vécu en dehors du monde, dans son "paradis blanc" comme dit ton père. Il est vrai que lorsque la neige tombe, là haut, elle n'est pas parcimonieuse, elle ne mégote pas. J'ai vu des photos impressionnantes, jusqu'à me demander comment le toit pouvait tenir sous un mètre de neige - seulement le chalet date d'un temps où l'on construisait pour toutes les générations à venir. ?Bien entendu, ton père m'a montré aussi des photos qui témoignent de son travail titanesque pour rénover cette vieille bâtisse, en compagnie de "compagnons d'ouvrage" de diverses nationalités. Alors Patrick m'a tenu un discours que j'entends très peu : ce que lui importait, c'était de partager des expériences, s'améliorer et faire profiter de son savoir aux autres,  enfin d'apprécier le résultat de ce travail, de l'ouvrage à sa juste valeur, et non pas de se satisfaire finalement que de devenir un propriétaire,  et Patrick n'a pas cet instinct de propriétaire si profondément ancré chez n'importe quel être humain, pour lui, sa gratification fut ce chemin qui a conduit à cette magnifique rénovation...
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    Message par Solcha Lun 20 Nov - 7:14

    rêveur


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    Message par Wapiti Lun 20 Nov - 8:43

    Encore un bien joli témoignage, là, Geob.
    Je ne l'ai peut être pas assez dit jusque là, mais :
    Merci pour le partage en ces pages.

    top !


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    Message par Skyrgamur Lun 20 Nov - 10:08

    top !


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    Message par geob Ven 1 Déc - 12:18

    Léon, le petit savoyard (II)



    A 1750 mètres d'altitude, je n'ai pas vu le  "paradis blanc"...  


    Debriefing II - Page 3 Photo_11
    (Patrick)


    ...mais l"univers de la haute montage, les forêts de conifères (?),  des paysages spectaculaires, et puis surtout ce chemin étroit qui mène au chalet, un chemin qui tutoie le vide -à la place du "mort", c'est impressionnant.


    Debriefing II - Page 3 P1000116


    Ces bâtisses sont faites pour traverser les générations, résister au froid, à la chaleur, à toutes les intempéries : l'épaisseur des murs en témoignent. Sur une pierre, à droite de l'entrée, on peut lire une date : "1836"...


    Debriefing II - Page 3 P1000113


    Ton père s'est occupé de ses ruches, il en a disposé en divers endroits, et même dans le grand chalet où tu habites dorénavant. Au fait, il parait que tu potasses les manuels d’apiculteur...


    Debriefing II - Page 3 Img-2010
    (Patrick)


    Quant à moi, n'ayant pas d'équipement pour me protéger des abeilles...

    Debriefing II - Page 3 P1000111

    ...je suis parti vadrouiller à la même hauteur des quelques nuages de pluie qui s’effilochaient sur la cime des arbres, à une centaine de mètres du chalet. Griotte m'a accompagné, je dirais même escorté tant elle semblait veiller sur moi. Ainsi, alors que je l'avais perdu du regard, elle surgissait des fourrés, au loin...


    Debriefing II - Page 3 P1000114


    ...s'assurant que j'étais bien là, et de "redisparaitre" aussitôt derrière des rochers, des sous-bois, puis elle revenait vers moi à fond de train, comme un cheval au galop, toute mouillée, hirsute, et visiblement heureuse de sa liberté, de l'espace, de la pluie et du vent, loin des appartements surchauffés et des boites de "Canigou".


    En altitude, le temps change vite.


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    Le jardin, là-haut, produit de magnifiques légumes...

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    celui en ville, aussi, d'ailleurs tu as tenu à me le faire visiter...

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    Bon sang, Léon, tu as vite appris !  Et tu aimes bien partager ! "Georges ! Viens manger des framboises !". On peut dire que tu ne te nourrit pas de produits industriels !

    Au fait, j'ai oublié de te dire que j'ai évidemment goûté le miel des ruches de Patrick, un miel non "sophistiqué" dont la saveur ne peut se comparer à celui que l'on trouve dans les supermarchés des villes.

    Petit déjeuner avec Patrick, toi et moi. Maria était déjà au travail dans la station thermale. Ton père posait sur la table un melon du jardin, des grosses pêches juteuses. Bon sang ! Il aura fallu que j'aille en Savoie pour manger des pêches aussi savoureuses ! Tu sais, je garde un souvenir amusé de ces matins. En effet, je me découpais un morceau de pêche, puis je lançais : Léon, un p'tit bout? Tu tendais alors la main. Un morceau pour toi, un morceau pour moi. Tu fais la nurse, maintenant? rigolait Patrick.

    En septembre, tu as commencé l'école. Moi, je m'attendais à ce que tu pleures parce que tu allais découvrir tout seul un nouveau environnement, des gens inconnus. Suis-je bête : J'avais complètement oublié que tu es un routard, un vrai de vrai, un sacré voyageur. Ton père m'a dit au téléphone qu'il n'avait pas besoin de répéter deux fois qu'il est l'heure de se lever, en quelques minutes tu es en bas, dans la cuisine, ton cartable déjà prêt !

    Tu ne sais peut être pas, mais je suis remonté sur Paris avec un souvenir qui m'a accompagné une semaine : le pain de Maria ! Ah c'est pas du pain de la ville ! Bon dieu ! Avec lui, j'aurais pu assommé quelqu'un, et l'expression "prendre un pain" aurait pris alors tout son sens. Un régal ! Et je le découpais facilement !  Une nourriture complète en soi !

    Voilà Léon, maintenant je suis en Thaïlande, dans mon quartier si j'ose dire, loin de cet été parisien épouvantable où ma visite chez toi, et l'accueil de Maria et Patrick, ont été une parenthèse humainement ensoleillée,  un souvenir enfin agréable.


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    Maadadayo !
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    Debriefing II - Page 3 Empty Re: Debriefing II

    Message par Wapata Ven 1 Déc - 13:18

    geob a écrit:

    Léon, le petit savoyard (II)


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    (Patrick)


    je ne lis pas mais je regarde les photos je me régale à chaque fois mais là j'adore gag !


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    Debriefing II - Page 3 Empty Re: Debriefing II

    Message par fabizan Ven 1 Déc - 13:48

    Comme Wapata j'ai adoré cette photo, on croirait presque de la crème chantilly cette neige ! sourire


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    Message par Lilie Ven 1 Déc - 13:51

    Et bien moi, à l'inverse de Wapata, j'ai tout lu. Y compris le premier volet du Petit Savoyard, à l'instant.

    J'ai lu du respect pour ce petit bonhomme mais aussi des mots pleins de tendresse, chose que je n'ai pas l'habitude de percevoir dans tes écrits (je ne les lis pas tous cependant). Une bien chouette histoire, une bien belle rencontre que ce petit Léon.

    top !

    Lilie
    geob
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    Message par geob Lun 11 Déc - 5:24


    Retrouvailles avec Saupa



    Retrouvailles.

    Bien sûr, je n'ai pas manqué de rendre visite à Saupa le plus tôt possible. D'ailleurs un ami, arrivé quelques semaines avant moi, lui avait annoncé mon prochain retour.
    Lorsque j'ai garé ma moto devant son restaurant, et levé la visière teintée de mon casque, le sourire a ensolleilé le visage de Saupa. Oh khun John ! Elle m'a salué en joingant les mains, son mari aussi, alors...
    Et c'était comme si tout recommençait

    ***********
    Ce jour là, il y avait trois français mariés avec des femmes thaïlandaises. Elles étaient toutes très bien habillées, ce qui rendaient leurs maris encore plus prospères qu'ils ne paraissaient. Ils vivaient à Hua Hin, au bord de la mer. Ke nord de la thailande représentait pour eux une destination exotique, juste un passage avant que de retrouver les rivages où les buildings ont remplacé les cocotiers.

    Nous avons échangé quelques mots avec eux, enfin, les maris, parce que Saupa a tenu à ce que nous le fassions. Devant ses compatriotes, elle ressemblait à ce qu'elle est et restera : une femme de la campagne, dont l'ouverture sur le monde se fait sur un poste de télévision - il n'y pas de wi-fi chez elle-, et encore c'est pour voir surtout des combats de boxe-thaï, et bien entendu les touristes qui débarquent en groupe organisé par la rivière Kok. Ceci dit, peut être se sentait elle un brin dévalorisée devant ses compatriotes, Saupa a voulu leur indiquer que nous sommes des clients fidèles, que nous l'apprécions beaucoup pour sa gentillesse, puis, à ma grande surprise, elle m'a pris le bras ! De sa part, ce n'est pas un acte naturel, banal, elle est tellement puritaine Saupa, respectueuse des coutumes et de la tradition, pourtant elle a posé sa main sur mon bras comme si je lui appartenais et elle a parlé de moi, de mes visites, de mon cadeau du nouvel an.

    **************

    Une fois, je suis arrivé avec quelqu'un derrière moi sur la moto, une française, Lydie, une artiste-peintre. Oh la tête de Saupa ! Pas le moindre sourire, rien de de rien, mais un visage fermé, méfiant, qui avait du mal à cacher une émotion contenue. Alors j'entrepris vite fait de... la rassurer ! Non, cette femme est aussi chez Chian House, mais elle a sa chambre, et elle veut vivre en Thaïlande à l'année, et ce n'est pas mon amie. Ah Saupa ! Quelle joie de revoir son sourire illuminer son visage ! Enfin rassurée, elle est devenue aimable, prévenante. Lorsque nous sommes revenus des bains, elle nous préparé des plats, toujours servis sur une feuille de bananier, ensuite elle nous a offerts, comme souvent, surtout quand je viens seul, une assiette avec des morceaux d'ananas et de papaye joliment découpés.

    Saupa aime bien fumer de temps en temps. Elle achète son tabac au marché, et elle roule ses cigarettes, à la vas-y que je te pousse, et faut voir les méga-pétards que cela donne. Lydie, fumeuse invétérée, lui a demandé de lui en rouler une. Elle ne s'est pas fait prier, et c'est ainsi....


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    ***********


    Saupa me fait toujours l'effet d'une femme en mauvaise santé, sans doute à tort, mais elle a souvent des problèmes. Ainsi, l'autre jour, j'ai tout suite réalisé qu'elle n'allait pas bien. Oh John, j'ai mal ! Elle a relevé ses manches et j'ai vu des taches sous le bras... une allergie sévère? comme des traces de brûlures de cigarettes tant cela paraissait rouge, un rouge semblable à du sang séché. Elle m'a montré les médicaments q'on lui a prescrits, les pommades à appliquer. Et puis, je me suis souvenu qu'elle avait eu la même chose l'hiver dernier. Alors un sentiment inattendu m'a imprégné, un sentiment dont je me croyais incapable : la compassion. Notre vie, à côté de la sienne, est oh combien plus confortable, rassurante et surtout protégée. Heureusement pour elle, sa fille qui a crée une petite start-up, lui rend visite tous les mois, lui paye ses lunettes pour lire, lui apporte des vêtements plus seyant que ce qu'elle porte au quotidien, mais ils symbolisent pour elle l'amour de sa fille à son égard, alors elle les gardent précieusement dans une armoire comme des trophées, des trophées qu'elle nous a présentés un jour... et aussi des sacs à main, sa fille ne fait pas les choses à moitié ! Surtout ne vous imaginez pas que Saupa ne peut porter des vêtements chics, bien coupés : elle a une très belle silhouette, les épaules bien dessinées, un port de tête élégant, bref, Saupa c'est une très belle personne.

    Maadadayo !
    geob
    geob


    Debriefing II - Page 3 Empty Re: Debriefing II

    Message par geob Dim 17 Déc - 4:37


    L'enfant d'un crime contre l'humanité



    Et si on commençait par une chanson?

    Être né quelque part, c'est toujours le fruit du hasard, mais je dirais plutôt que c'est le fruit d'une histoire... et de l'Histoire.




    C'est d'abord l'histoire d'un jeune lyonnais, né dans le quartier de la Croix Rousse. Il décida de s'engager pour une carrière militaire. Sa première affectation fut la Tunisie, parce que à l'époque la Tunisie c'était la France.

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    Voilà pour l’Histoire.

    Il y rencontra une jeune femme d'origine maltaise dont la mère avait un passeport anglo-maltais. Ma grand mère s'appelait Xuareb, un nom qui, plus tard, se fit connaître grâce à un footballeur prénommé Daniel. Daniel Xuareb ! On se disait tiens il porte le même nom que notre grand mère. Quand nous apprîmes le décès de notre grand mère, le général De Gaulle apparut le soir même à la télévision, en tenue militaire, pour prononcer un réquisitoire cinglant contre un "quarteron de généraux en retraite" qui tentaient un coup d'état en Algérie. Ce fut ce soir là que la France entière découvrit le mot "pronunciamiento". Bien entendu, cela n'a rien à voir avec mon père, ma mère, ma grand-mère, mais cela a marqué ma mémoire et me permet toujours de me souvenir de l'année du décès de ma grand mère.

    Être né en Tunisie, oui, et alors? Cela ne m'a jamais perturbé de le dire, et je n'ai jamais voulu changer mon numéro de sécurité sociale pour faire plus français, et ce pour une simple raison : je ne veux pas jeter aux oubliettes l'histoire de ce jeune lyonnais qui rencontra une jeune femme en Tunisie... au temps des colonies ! Le président Macron a édicté, du haut de sa suffisance, que la colonisation fut un crime contre l'humanité !

    Bonjour, je me présente : je m'appelle Geob, et je suis l'enfant d'un crime contre l'humanité !

    Ma sœur aînée qui est retournée dans le néant d'où on ne devrait jamais nous extraire, ma sœur aînée, dis-je, m'a souvent raconté le jour de ma naissance. A l'époque, on naissait dans les maisons, et naître dans une maison en Tunisie, dans les années 50, il fallait être bien costaud ou chanceux pour survivre aux premiers mois. J'ai eu de la chance. C'était une sage-femme qui procédait à l'accouchement, une fumeuse invétérée. Ah je l'imagine toujours clope au bec durant son intervention ! Ma sœur, neuf ans cette année là, l'entendit hurler :


    - Si vous poussez pas, je vous fous une paire de baffes !


    Il faut dire que je flemmardais à montrer ma gueule, pour vivre heureux vivons caché. Alors ma mère - sans doute incommodé par l'odeur de la cigarette - fit un effort pour m'expulser de son corps. Au fond, je suis une victime de l'instinct de reproduction, mais aujourd'hui encore je ne formule aucune récrimination, je ne vais pas cracher sur la tombe de mes parents, toutefois je leur reproche une seule chose : ils n'étaient pas faits pour être parents.

    Bon dieu ! J'ai survécu ! Quand je racontais à mes jeunes collègues les conditions de ma naissance, ils restaient bouche bée : t'es né au Moyen-Age, ou quoi? Et quand j'ajoutais que dans chaque famille un enfant mourrait en bas âge, je précisais que dans la mienne ce fut le cas. C'était ma deuxième sœur, elle est morte au bout de quelques mois. Elle s'appelait Josiane. Combien de fois l'ai-je imaginé encore en vie, comment nous nous serions entendus, qu'est-ce qu'on aurait pu faire ensemble?

    Josiane reste toujours ma petite sœur, ma sœur invisible....

    Maadadayo !
    geob
    geob


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    Message par geob Lun 18 Déc - 15:48

    L'enfant d'un crime contre l'humanité


                                             

    II



    Un décès dans une famille, malgré la tristesse,  déclenche des souvenirs où parfois l'humour a sa place, c'est d'ailleurs dans ces moments là que le rire peut soulager un cœur trop étreint par la douleur, et il y a aussi des vieilles photographies ignorées ou oubliées qui émergent une dernière fois du passé,  racornies par l'humidité, usées ou décolorées par le temps, mais elles prennent une dimension inouïe pour ceux qui restent, ébahis, saisis par ce destin qui consent à les épargner encore, car lorsqu'on pleure sur un mort, on pleure sur nous mêmes, sur notre pauvre condition d'être humain si fragile, si éphémère.

    Parfois, nous évoquions Josiane entre nous. Seulement elle était morte depuis une éternité, alors bien qu'elle fût longtemps pour nous une idée sans chair, ni âme, cela ne nous empêchait pas de l'imaginer dans nos réunions de famille et surtout de nous poser quelquefois ces questions : et si elle avait été là avec nous, que dirait-t-elle, que penserait-elle? Mon père ne l'évoquait jamais, ma mère parfois, avec précaution, surtout pour la raison de la mort de Josiane, une raison dont je ne peux certifier la réalité. Tout ça c'est si loin, après tout qu'importe, un être humain a existé quelques mois, il est passé comme un coup de vent sur cette terre, et savoir pourquoi il est mort m'est devenu égal. Mais voici qu'une photographie a surgi cet été, une preuve de l'existence de Josiane : je ne l'avais jamais vue ! Bon dieu ! Te voici ! Ma mère, élégante silhouette, lève un bébé dans ses bras, et c'est toi, Josiane, tu as bien existé...

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    Je reconnais la clôture en ciment, au fond du jardin. Mon père m'avait pris en photo à l'extérieur.


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    En retournant la photographie de Josiane, j'ai lu, très ému, ces quelques mots que ma mère avait écrits...


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    Quelques semaines avant de reprendre l'avion, j'ai réalisé que cette écriture n'était pas celle de ma mère. Il y avait cette façon d'écrire, ces lettres impeccablement tracées qui me rappelaient trop une autre écriture, celle de mon père ! Oui, en comparant des documents que j'avais gardés, je suis sûr que c'est mon père qui a écrit ces mots, et c'est devenu pour moi encore plus poignant, voir vertigineux. C'est le lot des enfants de perdre leurs parents, c'est le drame absolu lorsque les parents perdent un enfant. Alors aujourd'hui, ces quelques mots "Ma Josiane chérie" me font ressentir à quel point cette perte a été cruelle pour mon père...


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