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    Un directeur de conscience pour Donnadieu.

    geob
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    Un directeur de conscience pour Donnadieu. Empty Un directeur de conscience pour Donnadieu.

    Message par geob Mar 26 Juil - 17:06

    Un directeur de conscience pour Donnadieu

    Bien entendu, Donnadieu fréquentait l'école des frères, en l'occurrence le Petit Séminaire, où se côtoyaient à peu près tous les fils de bonne famille de la ville, avec quelques enfants d'ouvriers et d'employés pour crédibiliser le bien fondé de la religion chrétienne. Son ami Paul se débrouillait bien dans un collège - où sa mère était proviseur -, tandis que Joseph, lui, subissait la discipline de fer des Jésuites dans un cour privé très "sélect" - on aura compris pourquoi Donnadieu avait réussi à convaincre son père de ne surtout pas l'y inscrire, au grand dam de sa mère !

    Au Petit Séminaire, la journée se terminait toujours par ce qu'on appelait " Étude ". Entre 16 et 17 heures, les 6e et les 5e étaient réunis dans une grande salle, sous la surveillance d'un étudiant en droit, toujours assis derrière un bureau posé sur une haute estrade, qui semblait, du haut de son perchoir, fort impressionnant et inaccessible comme un deus ex machina. Dès qu'il entendait la moindre entame d'une conversation chuchotée, il lui suffisait de lever la tête pour clouer le bec aux téméraires. Alors les élèves se penchaient sérieusement sur leurs devoirs avant que de rentrer chez eux le cartable léger.

    Le lundi, c'était spécial. Les gamins remplissaient soigneusement un bon sur lequel ils notaient le nom de leur directeur de conscience, le tendait à tour de rôle au surveillant, et cela leur donnait ainsi l'autorisation de se rendre à confesse. Pour la plus part d'entre eux, c'était une bonne occase pour quitter l'étude, de respirer un peu, et de revenir guilleret de s'être soulager de leurs péchés bien véniels.

    Pourtant, sur les soixante élèves environ, peut être un peu moins, cinq ne bougeaient pas de leurs bancs. Un jour, l'abbé proviseur entra dans la salle de l'étude, lança le nom des cinq à la cantonade, puis il les invita à le suivre à l'extérieur. Ils obtempérèrent, un peu inquiets tout de même. L'abbé ferma la porte et leur demanda de se mettre en ligne contre le mur du couloir. Faut dire que l'abbé était jeune, sympathique, les cheveux en brosse, sportif - il ne rechignait pas à s'engager dans une partie de foot dans la cour de récréation -, cela bien pesé, les cinq se perdaient en conjectures sur la finalité de cette réunion inattendue.
    - Les gars, dit l'abbé, avec le ton du copain qui veut partager un ennui, nous avons constaté que vous êtes les seuls à ne pas avoir de directeur de conscience. Cela ne peut plus durer. Notre directeur vous demande expressément d'en choisir un. Allez, vous en désignez un et on vous embêtera plus, d'accord ? Je compte sur vous !
    Donnadieu se gratta la tête, tandis que sa main gauche restait obstinément dans la poche de son pantalon pour se donner une contenance. Ah ! Zut alors ! pensa-t-il, ils nous laisseront jamais tranquille ! Il regarda les autres, quelque chose le frappa : ils étaient aussi les seuls à ne jamais porter une blouse ! Dans cette bande de mécréants, il y avait deux de la 6e, Donnadieu et un fils d'employé qu'il surnommait "l'endormi", et trois de la 5e. La multitude impose sa loi dès le plus jeune âge, il faut être costaud pour passer outre, n'en faire qu'à sa tête, ainsi les cinq ne discutèrent pas du bien fondé de cette mise en demeure de rejoindre le troupeau et son berger.
    - Oui mon Père, dirent-ils.
    - Faites le rapidement, et on n'en parle plus. Vous pouvez regagner l'étude !

    Les élèves retrouvèrent les bancs, le moral en berne. Donnadieu, lui, commençait à cogiter. Un problème se présentait, comment le résoudre ? Cette convocation impromptue lui paraissait bizarre. Il était le seul à ne pas communier pendant la messe obligatoire du mardi, (cela lui faisait drôle de rester seul sur sa chaise tandis que les autres se présentaient un par un devant l'officiant qui leur plaçait l'hostie sur la langue), mais aucun frère, aucun abbé ne lui cherchait des noises pour cela. Alors, quoi ? Ce n'était pas une affaire personnelle puisque quatre élèves subissaient la même contrainte. Il finit par se convaincre que le Petit Séminaire n'était pas le collège Tartempion, et qu'il fallait en accepter les règles.

    Le lendemain, les cinq élèves, qui habituellement ne se parlaient pas beaucoup, se retouvèrent dès la première récréation pour vérifier les uns sur les autres les effets du laius de l'abbé. Tu as choisi qui ? L'abbé Sahuquet, et toi ? Oh moi, le prof de latin, l'abbé Béziat. Oh que Donnadieu était décu ! Ils rentraient à la vitesse grand V dans le rang ! Et toi, "l'endormi", tu as choisi qui ? "L'endormi", qui semblait s'intéresser mollement à cette discussion, bailla sans mettre la main devant sa bouche, puis annonça avec un petit sourire en coin : l'abbé Chamel ! Donnadieu et les autres restèrent bouche bée ! Bon sang ! L'abbé Chamel ! C'était gonflé ! En effet, l'abbé Chamel assurait rarement ses cours d'anglais, sa santé précaire l'envoyait beaucoup plus à l'hôpital que dans sa salle de classe - mademoiselle Rivière, qui le remplacait, parfois plusieurs mois d'affilée, subissait le martyre de la part des 6e et des 5e, et son Vélo Solex quelques avanies comme, par exemple, du sucre en poudre dans le réservoir. Donnadieu décida de faire de "l'endormi" son copain, un gars comme ça devait avoir d'autres flèches à son arc. Et toi, Donnadieu, c'est qui ? Donnadieu se gratta la tête. En fait, il était bien embêté, aucun nom ne lui venait à l'esprit, et puis il n'éprouvait pas le besoin d'avoir un directeur de conscience parce qu'il n'envisageait pas de tuer, ni de voler quiconque, il était trop jeune pour ça. Comme vous le constatez, il affichait de sacrées lacunes dans l'utilité et la finalité de la confession.

    Une semaine passa, il y eut le mercredi des cendres et sa messe afférente. Donnadieu ne communia pas, mais, quand les enfants se levèrent une nouvelle fois pour recevoir le signe de croix sur le front de la part de l'abbé Sahuquet qui plongeait au préalablement son doigt dans un calice rempli de suie charbonneuse, il craqua à l'idée de se retrouver encore seul. Il se leva et se mit dans la file. Au fur et à mesure qu'il s'approchait de l'autel, il s'inquiétait de la possible réaction de l'abbé Sahuquet qui avait l'air redoutable dans ses habits sacerdotaux. Plus que deux, un, et Donnadieu, les deux mains jointes en signe de recueillement, se retrouva face à l'abbé. Ce dernier eut un mouvement de surprise, une demi seconde d'hésitation, puis il traça tout de même un signe de croix sur le front de Donnadieu, soulagé.

    Le lendemain, durant l'étude de fin de journée, il fut convoqué chez le sous-directeur, un frère assez âgé, corpulent, aux joues rougeaudes bien pleines. Un homme discret, bien gentil, qui descendait rarement du premier étage où se trouvait tous les bureaux. Quand il frappa à sa porte, Donnadieu se doutait bien de l'objet de cette convocation. Le sous-directeur lui ouvrit la porte et lui montra la chaise où il devait s'asseoir, face à un fauteuil en cuir imposant - on aurait dit un trône.
    - Tes parents vont bien ?
    - Heu...oui, pas de problèmes.
    - Bien, tu remercieras ton père pour son chèque trimestriel qui, comme d'habitude, couvre très largement tes frais de scolarité.
    Donnadieu s'efforça de rester le plus neutre possible. Ça couvrait les frais de scolarité d'une classe entière !
    - Mon petit Donnadieu, tu es un excellent élève, mais il faudrait te ressaisir. Tous tes camarades, tous les élèves de notre école, sous le patronage de notre seigneur Jésus Christ, vont se confesser une fois par semaine, sauf toi ! Veux-tu rester tout seul dans ton coin, sans l'aide de notre seigneur Jésus Christ ?
    - Heu...ben, non !
    - Alors, il te faut faire un effort, me dire tout suite quel sera ton directeur de conscience, celui qui t'aidera dans ta vie au quotidien, celui auprès de qui tu trouveras soutien et réconfort.
    Là, je suis au pied du mur, se dit Donnadieu. Les mains croisées sur sa bedaine, le sous-directeur l'observait attentivement. Pas d'autres solutions que de donner un nom.
    - L'abbé Besse ! dit Donnadieu, d'une voix contrite.
    Mais ce n'était pas tout à fait au hasard. L'abbé Besse, son professeur de sciences naturelles, était son préféré, celui qu'il respectait le plus. Oui, après tout, le choix qui s'imposait. Ainsi, le le vendredi matin à 10 heures, avant que le cours ne commençât, Donnadieu voulut avertir l'abbé Besse qu'il le prenait pour confesseur. Il n'osa pas, il ne savait pas pourquoi. Attendons la fin du cours, se dit-il.

    Ce matin là, l'abbé Besse n'avait pas l'air en forme, la mine défaite. Il demanda à l'élève le plus dissipé de cesser ses singeries, de la mettre en veilleuse, quoi. Il n'y eut pas de deuxième fois. Cette fois-ci, il fondit comme un aigle sur la gamin, l'attrapa par une oreille, l'amena sur l'estrade, face au tableau noir, et l'obligea à s'agenouiller avec ses mains derrière le dos. Mais l'inconscient ne s'avoua pas vaincu, il tira la langue dès que l'abbé lui eut tourné le dos, ce qui, bien sûr, fit éclater de rire toute la classe. Les rires se muèrent rapidement en stupeur quand l'abbé se jeta sur l'élève pour le frapper, des gifles monumentales, et il criait comme quelqu'un qui avait perdu les pédales : "Tu vas arrêter, t'as pas compris encore ?". L'élève tomba à la renverse, l'abbé lui agrippa sa tignasse et le remit à genoux sur l'estrade. Cris de douleur ! Tais toi ! hurla le professeur préféré de Donnadieu, ou je t'en colle une autre !

    Donnadieu lisait beaucoup de romans, maintenant il comprenait mieux l'expression "glacer le sang", il la ressentait physiquement, comme si de la glace coulait dans son sang, réellement. Une chape de plomb s'était abattue sur la salle de classe, elle étouffait tous murmures, tous mouvements ; Donnadieu, lui, n'éprouvait aucune crainte car il voyait l'abbé Besse sous un autre jour : un inconnu qui venait d'une autre planète, un étranger qui n'entrerait jamais dans sa vie. Jamais ! Cette ferme conviction le rassénéra, elle emplit son coeur d'une joyeuse allégresse. Par la même occasion, cette scène d'une brutalité inouïe, surtout aux yeux d'un enfant qui respectait jusqu'à présent celui qui venait de la déclencher, se révéla être pour lui son "chemin de Damas" paradoxal où cette révélation lumineuse, lumineuse comme l'éclair qui déchire le ciel pendant l'orage, lui tomba dessus sans crier gare : Dieu n'existe pas !

    A onze heures, l'abbé Besse libéra les élèves qui sortirent en silence. Leurs cartables semblaient peser une tonne tant ils courbaient l'échine, on aurait qu'ils portaient le poids de la responsabilité de ce passage à tabac perpétré par ce soi-disant "homme de dieu". Ce dernier les regarda passer devant lui, pas un ne voulut croiser son regard, alors il pensa peut être qu'il avait gagner un surplus d'autorité sur le dos d'un élève qui ne pouvait que subir, mais qu'après tout ça en valait la peine et qu'une confession effacerait de sa mémoire cet instant où il n'avait pas su se maîtriser. Il fut tout de même intrigué par le visage de Donnadieu, il n'affichait pas la mine déconfite des autres enfants, il paraissait serein, très calme, comme habité par une certitude.

    L'abbé Besse n'eut jamais le loisir de confesser Donnadieu, et il ne le vit que dans ses cours de sciences naturelles. Donnadieu ne désigna aucun autre directeur de conscience, il resta le seul à ne pas se rendre à confesse, et il resta le seul à ne pas communier.

    Et plus personne ne lui fit de remarques.









    Dernière édition par geob le Jeu 28 Juil - 10:50, édité 1 fois
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    Message par Invité Mar 26 Juil - 18:40

    Toujours aussi fin et intéressant que tes autres textes.

    C'est Deus ex machina, ton doigt a glissé sur le clavier j'crois.
    geob
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    Un directeur de conscience pour Donnadieu. Empty Re: Un directeur de conscience pour Donnadieu.

    Message par geob Mer 27 Juil - 10:23

    Tellement dans ce que je raconte, j'ai du mal à voir des erreurs évidentes !

    J'en profite pour dire que, cette fois-ci, l'histoire est à + de 90% réelle, mais ce n'est pas moi qui ait mis du sucre dans le réservoir du vélosolex !
    Par contre, l'histoire des louveteaux est purement fictive. Je n'ai jamais été louveteau, scout, etc...
    En revanche, il y a beaucoup, beaucoup de scènes que se sont réellement passées dans "Le mariage de Marthe", du pin's clignotant au mariage dans l'église, de la radiographie du crâne avec la monture de lunettes à la réception dans le garage ! Et autres choses encore !

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