Le chocolat chaud était délicieux, tout autant que le moment passé en compagnie de la si désirable postière. Mais tout a une fin et il a bien fallu qu’elle retourne travailler, et que Lahaut fasse mine d’en faire autant, tout en se disant intérieurement que s’il n’avait pas une mission à accomplir, une aventure à vivre, il resterait bien ici à Libourne pour faire plus ample connaissance avec cet être magnifique aux cheveux bruns, au parfum délicieux, aux yeux verts si captivants, à la voix si mélodieuse…
Au détour d’un escalier, il s’ébroue et reprend le fil de sa quête. Ses pas l’ont naturellement, par des couloirs et passages détournés, ramené devant le Secrétariat du Père Noël. Un coup d’œil à droite, un autre à gauche, personne. Il se faufile rapidement et en silence dans la grande pièce et trouve rapidement une cachette où son mètre quatre-vingt-dix-plus plié en quatre se met en attente immobile. Le menton sur les genoux, il a une vue directe sur la petite porte du fond. Plus rien ne circule dans son cerveau, il espère en silence sans bouger.
Et le miracle se produit.
Tout lutin de Noël qu’il est, le lutin postier a besoin de manger au moins trois fois par jour. Et quand il est en mission dans le monde bassement matériel des hommes, il va se nourrir comme les hommes à la cafétéria. Arrive donc le moment où la porte du fond s’ouvre pour laisser passer le mètre-vingt de rouge vêtu et chapeauté, qui traverse la grande salle à petits pas rapides, en sort et s’éloigne dans le couloir.
Lahaut patiente quelques minutes qui lui paraissent une heure, avant de prendre l’audace de se déplier avec précaution et de s’avancer rapidement mais silencieusement vers la petite salle du fond.
Il se glisse à l’intérieur, surpris des senteurs de pain d’épices et de chocolat qui y règnent sur fond musical lutin. Il en fait curieusement le tour, s’interroge sur l’utilité de la grande armoire en vieux noyer finement sculpté qui trône au fond, observe attentivement le magiknoëlcopieur, s’étonne un tantinet que toutes les enveloppes ouvertes ou fermées des deux caisses portent toutes un tampon rouge « 33333 » et se dirige finalement vers la pile des lettres en Noëllangue.
Sans oser la toucher, il observe celle qui surplombe la pile. Le papier est classique, l’encre argentée, la calligraphie semble-t-il enfantine mais dans un langage proprement illisible pour lui, même si les caractères sont les mêmes que ceux de notre alphabet (ceci dit, il n’a jamais été bon en langues étrangères, il est le premier à le reconnaître). Mais comment va-t-il pouvoir reconnaître sa lettre ?
Soudain la réponse apparait évidente : si la Noëllangue lui est incompréhensible, les prénoms semblent restés identiques. Il fouille fébrilement du bout des doigts la pile. Pourvu que sa lettre soit déjà traduite ! Sinon il lui faudra attendre encore l’après-midi entière avant de revenir…
Trouvée ! C’est bien ça : Lahaut, c’est indiqué en haut au milieu du charabia illisible, et c’est signé en bas. Vite, il attrape dans sa poche une deuxième petite pastille gps – heureusement que son génial inventeur a insisté pour qu’il en prenne deux, de pastilles, lui qui n’en voulait qu’une seule ! -, l’applique dans le ventre du premier a de Lahaut, reconfigure le boîtier de géolocalisation qui oublie très vite la première puce pour ne se concentrer que sur la deuxième, remet délicatement la lettre au bon endroit dans la pile, vérifie qu’il n’a rien déplacé d’autre et se faufile à l’extérieur du bureau, puis à l’extérieur du Secrétariat du Père Noël. Ce n’est qu’en arrivant deux étages plus bas dans le vestiaire qu’il se rend compte qu’il est à la fois tout en sueur, secoué de tremblements et resté en apnée tout ce temps.
Mais comment a-t-il, lui le réputé gaffeur, dans un tel état second, fait pour ne pas se faire prendre, pour ne pas trébucher, pour ne rien casser ni faire tomber dans l’opération ? Une magie de Noël ? A-t-il rêvé ou a-t-il réellement effectué tout cela ?
Le petit 2 affiché sur son boîtier lui confirme à tout le moins qu’il a activé la deuxième et dernière puce gps…