Le Village du Peuple Etrange Voyageur

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    L'ami des bêtes

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    Message par geob Mar 26 Aoû - 16:10


    L'ami des bêtes.

    C'était plus fort que lui. Dès qu'il voyait un chat ou un chien qui vagabondait dans les rues de la grande ville, visiblement affolé, perdu, monsieur Xavier l'attirait vers sa voiture et se débrouillait pour le faire grimper à l'intérieur. Ensuite, il l'emmenait chez lui, en banlieue. Il habitait un pavillon délabré, dans une zone semblable à un noman's land déprimant, un entre deux que les hommes politiques promettaient de rendre vivable bientôt, mais, en attendant, il fallait y vivre et se débrouillait pour subvenir à ses besoins élémentaires comme manger et boire, surtout boire car l'eau qui sortait des tuyaux en plomb de sa cuisine avait une couleur bizarre. Heureusement, à environ trois kilomètres de chez lui, il y avait une épicerie ouverte jusqu'à tard dans la nuit, alors, par principe de précaution, il achetait du vin dans une barrique en carton, c'était pas cher, et monsieur Brahim lui assurait l'exclusivité de cette vinasse terrifiante étant donné que sa clientèle, en majorité des hommes portant tous une barbe drue et menaçante, n'eussent pas apprécié de voir cette boisson diabolique en vente dans un endroit tenu par un bon musulman. Mais oui, quoi qu'on en dise, monsieur Brahim était un bon musulman et il avait bon cœur, un cœur gros comme ça, prêt à donner sa propre chemise à quelqu'un qui était dans le besoin, alors vous pensez, avec un client tel que monsieur Xavier, il savait comment faire pour lui venir en aide, jusqu'à prendre des gros risques en ce qui concerne la fourniture de ce vin.

    Hier soir, monsieur Xavier arrêta sa voiture devant l'épicerie de monsieur Brahim. Il sortit de son véhicule, mais n'entra pas directement dans le magasin. Il y avait des clients, un homme barbu en djellaba et ses deux femmes entièrement voilées. Il était connu dans le coin, un type bien qui s'occupait beaucoup des jeunes en perdition, en quête d'une vie meilleure, de nouveaux horizons.

    L'homme s'en retourna, suivi par ses deux épouses qui portaient chacune deux cabas rempli à ras bord de marchandises. En passant devant monsieur Xavier, il le salua d'un puissant "salaam aleikoum", ce à quoi monsieur Xavier répondit d'une manière conforme, car il avait vite compris comment se faire tolérer dans ce coin isolé.

    - Ah mon ami ! Comment vas-tu?
    - Très bien, Brahim, très bien ! Tu te rappelles de l'épagneul? Aujourd'hui, je l'ai ramené en ville, j'avais vu l'affiche qui proposait une belle récompense pour le retrouver, alors son propriétaire, tout content, m'a donné une somme conséquente, ce me permet d'acheter chez toi quelques boites de conserves, et...

    Monsieur Xavier regarda par dessus son épaule, visiblement inquiet. Dehors il n'y avait que la nuit et quelques lampadaires allumés, mais la plupart étaient hors service.
    -... et si tu as de quoi boire?
    - Pas de problèmes, mais je vais te donner un sac pour bien le dissimuler.

    Comme la porte de l'épicerie était ouverte, ils entendirent tout à coup des aboiements aigus, irritants. Ils provenaient de la voiture de monsieur Xavier. Monsieur Brahim était tout content.
    - T'as encore recueilli un chien?
    - Oui, un Yorkshire nain. Ses propriétaires devraient être honteux de l'avoir perdu !
    - Ou abandonné?
    - Non, non, il a un collier avec un numéro de téléphone.
    Monsieur Brahim ne demanda pas pourquoi il n'avait pas aussitôt téléphoné. Il savait très bien que monsieur Xavier attendrait les affiches promettant, Inch'Allah, une récompense. Ce pauvre monsieur Xavier, si seul, sans femmes et sans enfants, dans la crasse solitude de son pavillon délabré, au moins, Grâce à Dieu, les animaux lui tenaient compagnie.

    Monsieur Xavier poussa un soupir de soulagement lorsqu'il entra dans le jardin de son pavillon. Enfin chez lui ! Entouré d'un mur surmonté de tessons de bouteilles pour décourager les éventuels visiteurs nocturnes. Il sortit de sa voiture et prit soin de bien refermer la grille de l'entrée en remettant la grosse chaîne et son gros cadenas. Ainsi, il avait le sentiment de se retrouver bien protégé de l'extérieur, comme dans un sous marin, à l'abri de l'agitation vaine du monde.

    Il ouvrit la porte arrière de sa voiture. Sur la banquette recouverte de skaï, le Yorkshire tremblait de tous ses membres, et il s'était même oublié. L'odeur de son urine n’incommoda pas monsieur Xavier, il avait l'habitude de ce genre de remugle, et puis, de toute façon, il ne prenait jamais une personne dans sa voiture. Juste les chiens et les chats, car monsieur Xavier aimait les animaux. Il trouva sur le tapis de sol un bout de tissu durci par la saleté, il essuya avec la banquette, puis tamponna le chien, histoire de le sécher un peu. Il le prit dans ses bras. La vache ! Quelle tremblote ! Monsieur Xavier en était tout ému.

    Derrière son pavillon, il y avait une baraque en bois, une sorte de remise où monsieur Xavier remisait toute la misère à quatre pattes. Il alluma. Une ampoule de 25 watts jetait une faible lumière jaune sur cinq cages posées sur le sol en terre battue. A l'intérieur, derrière les barreaux en métal, quatre chiens et un chat. Ils s’agitèrent un peu en voyant monsieur Xavier, mais ils semblaient tous efflanqués, quasi faméliques. Seul le chat n'avait pas bougé. Une boule de poils ternes, les yeux mi-clos, amorphe, comme déjà absent de la vie.

    Monsieur Xavier se dirigea vers la plus petite cage où un minuscule chihuahua se colla tout au fond contre les barreaux, complètement terrorisé. Il posa le Yorkshire par terre comme si c'était un paquet qui l’encombrait, d'ailleurs le chien se comporta tel quel en n'essayant pas de se sauver, par contre il continuait de trembler d'une façon spectaculaire, impressionnante même. Monsieur Xavier ouvrit la cage et attrapa délicatement le chihuahua pour l'extraire de là, ensuite il mit le Yorkshire à l'intérieur.

    Bon, et maintenant? Cela faisait trop longtemps qu'il gardait le chihuahua, aucune affiche n'est apparue sur les murs de la grande ville. Quelle honte ! Ces gens qui s'entichaient d'une petite boule de vie, s'amusaient avec, et puis, lorsque la routine ou l'ennui survenaient, ils passaient à autre chose de plus amusant, et ils abandonnaient sans états d'âme leur bête. Monsieur Xavier crispa ses poings. Ah les salauds ! Il se baissa pour prendre dans ses bras le chihuahua, à vrai dire il tenait tout simplement dans le creux de sa main. Les gros yeux protubérants le regardaient avec une tristesse infinie, monsieur Xavier aurait juré qu'une larme coulait d'un œil, et il ne put s'empêcher de frissonner, il ne savait pas trop si les chiens pouvaient pleurer, alors, soudainement, un malaise sournois s'empara de lui, déstabilisant, irritant, bon sang, ce n'était pas la première fois qu'il allait faire ça.

    Derrière la remise, il y avait encore beaucoup de terrain jusqu'au mur d'enceinte. Monsieur Xavier avait déjà enterré une dizaine de chiens dans son jardin, des chiens que personne n'avait réclamés, pas de discours moralisateur, s'il vous plait, les nourrir coutaient trop cher, ce n'était pas l'arche de Noé ici, il fallait survivre par tous les moyens. Les chats avaient un autre traitement, creuser un trou était tout à fait inutile. Monsieur Xavier avait vite repéré une petite ouverture dans le mur de l'enceinte, à raz de terre, d'où avait surgi une nuit des rats énormes, au moins deux ou trois en quête de nourriture. Il suffisait de laisser le cadavre du chat à côté, et le lendemain matin la place était nette. C'est ainsi que le chihuahua fut déposé au même endroit, mais monsieur Xavier, voyant toujours cette tristesse insondable dans les yeux de la pauvre bête, n'eut pas le cœur de le laisser dévorer vivant. Il prit une grosse pierre, et l'abattit sur le crâne du chihuahua.

    Cette nuit là, monsieur Xavier dormit très mal, il voyait toujours cette larme qui coulait de l’œil protubérant, non pas comme un reproche qui lui était adressé, mais comme la marque d'une compassion invraisemblable pour ce à quoi il en était réduit pour vivre, survivre malgré tout. La bête semblait lui pardonner, et le prendre en pitié aussi. Entre deux cauchemars, ce fut monsieur qui pleura, plus que ça d'ailleurs, il éclata carrément en sanglots. Ses yeux à lui versèrent des larmes abondantes, torrentielles. Oh n'allez pas croire que la mort du chihuahua l'avait à ce point bouleversé, non, monsieur Xavier était un être humain comme tous les autres : il pleurait sur lui même ! Il n'avait pas assez bu, cette nuit là, pour que sa vie ne lui apparut pas dans sa terrible médiocrité, son insondable inutilité. Oh quelle misère ! Quelle misère ! Pourquoi moi? Pourquoi? se lamentait-il, épuisé d'avoir vidé toutes les larmes de son corps.

    Vers trois heures du matin, monsieur Xavier entendit des jappements affolés qui venaient de la remise. Les rats ne devaient pas être loin, ils étaient sans doute en train de s'attaquer au cadavre du chien qui avait compris la vie effroyable de son bourreau.



    Madadayo !

    fabizan
    fabizan


    Localisation : Sainte Enimie Lozère

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    Message par fabizan Mar 26 Aoû - 23:33

    Elle est affreuse ton histoire Geob ! beurk !


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    Fabienne

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