Dès le départ, je me rend compte que ma carte n'est plus d'actualité, le tracé ne correspondant pas à la réalité du marquage. Tout le long de la rando, il me faudra jongler entre marquage et carte IGN. Pour partir, j'emprunte le sentier par lequel un an et demi plus tôt j'étais arrivée à pied, il rejoint une route qu'on traverse pour continuer et grimper vers le Mont Kador, lui aussi chatouillant les 400 mètres d'altitude, point culminant de la journée. J'ai cru un moment le masque gris se lever, mais c'était provisoire.
Sur la crête du Mont Kador, et tout le long de son arrête dorsale qui me fera redescendre, je ne vois absolument rien, le brouillard épais dissimulant autour de moi tout un monde. Je n'ai aucun mal à imaginer les korrigans qui se cachent derrière quelques grosses formations rocheuses. Là, ici précisément, et dans ces conditions météo, je la sens bien cette terre de légendes. Là où les yeux ne peuvent voir, l'imagination se déploie... Les celtes, les druides, les cultes de l'eau, des saisons, les contes, les veillées.
Mais je ne peux m'empêcher de comparer ces paysages à l'Irlande, à leurs grands frères, les Wicklow Mounts, près de Dublin. Une photo d'une rando Wicklowène me revient en tête, identique à ce que j'ai sous les yeux. Un sentier bombé tout droit devant qui disparaît dans un voile de brune impénétrable, de la tourbe de chaque côté.
- Wicklow Mounts, Irlande (2010):
Pendant ces quelques kilomètres, je ne cesserais de comparer les deux paysages, trouvant l'actuel moins joli que l'irlandais, bien sûr. Les Wicklow Mounts, avec vue sur la baie de Dublin et la mer d'Irlande, sont deux fois plus haut que les Monts d'Arrée, alors forcément la géographie et les paysages sont... deux fois plus haut, plus beau sans doute aussi. A mon goût. J'essaierais de combattre cette comparaison en descendant le Mont Kador, pour essayer d'apprécier ces Monts d'Arrée à leur juste valeur, dans l'instant, naïvement. Mais je n'y arriverais pas. L'idée d'être devenue ce que j'ai toujours redoutée, blasée, m'est alors apparue. Et si j'étais blasée? Et si j'avais vu trop de paysages, trop de jolis endroits, trop de merveilleux et fabuleux trésors sur la planète? Si j'avais vu tout le plus beau des différents types de tableaux naturels, qui me rendrait le reste fade?...
Je me dis que c'est bête de faire une comparaison, mais la ressemblance est telle que c'est inévitable pour moi. Je me convainc en me disant que c'est parce que c'est un paysage similaire à l'Irlande, et que je suis tellement amoureuse de l'Ile d'Emeraude que de toute manière, rien ne pourra jamais la détrôner. Mes yeux sont complètement subjectifs, ce sont les yeux de mon coeur irlandais qui témoignent à cet instant-là. Alors je ne combat pas plus que ça ces idées, ces impressions, ces sensations. Je les laisse venir. Et j'apprécie quand même tout ce que je vois, vis, et ressens autour de moi. Ce sont de toute manière des endroits, un climat, que j'affectionne. Ce gros brouillard est parfait dans ce lieu, parfait pour ma rando. Je remercie le lieu, les êtres et toute la Vie du coin pour m'offrir ces instants magiques. Je cours, même, à un moment, sur la descente, le sourire aux lèvres, queques dizaines de mètres. Juste comme ça, parce que je suis contente.
(...)
Lilie