Chine. C’était il y a près de 20 ans.
…
Deux amis se baladent à travers le pays. La province de Sichuan, Chengdu et quelques 200 kms plus tard ils sont au pied de cet escalier qui grimpe dans les nuages, que dis-je, au-delà des nuages… Les mots de Li Po résonnent dans la mémoire de celui qui voulait marcher dans les pas du poète. Les deux amis sont venus faire l’ascension du mont Emei. Trois jours et 15000 marches plus tard ils admireront le lever du soleil, la danse des nuages et la « lumière de Bouddha »…
Novembre. Ce n’est pas le meilleur mois, il fait froid et il pleut souvent. Il faut s’adapter, se repérer, s’entrainer, monter des escaliers n’est pas une rando ordinaire.
1er jour. Tôt le matin. Beaucoup de touristes chinois qui sont arrivés en bus. Ils font quelques pas, grimpent quelques marches, les plus riches d’entre eux se font véhiculer en chaise à porteur. Ils reprendront rapidement leurs moyens de locomotion confortables pour continuer à grimper par la route ou tout simplement pour rentrer chez eux.
Les deux amis montent tranquillement. Des arbres aux branches dénudées, gigantesques silhouettes prisonnières de la brume entourent les volées de marche et dévoilent des temples qu’il est plaisant de découvrir. Des gargotes dispersées de-ci de-là permettent de se restaurer et de se réchauffer avant de continuer la montée. Passage des singes. Ils sont curieux, gourmands, facétieux et ne lâchent guère les amis jusqu’à ce que las de leur indifférence (feinte mais les singes ne le savent pas) ils les laissent continuer leur chemin.
Le brouillard est maintenant très épais. 15h et 1er monastère. Un moine vient à la rencontre des amis et leur propose une chambre confortable avec 2 lits posés sur un parquet et juste à côté un salon où il sera agréable de prendre un peu de repos. Après avoir diné d’une soupe bien chaude les 2 compères s’en vont profiter d’un sommeil bien mérité. Dans le silence de la chambre un bruit incongru, espèce de grattement. Lumière. Un rat a compris qu’il y avait de la visite et que peut-être il pourrait récupérer quelques miettes… Eh oui, il ne faut jamais laisser trainer un sac avec des provisions ! Le rat se sauve. Le téméraire reviendra, il aura même le temps de faire un trou dans une poche et se jouera des coups de batons parfaitement inutiles ! Une fois les sacs accrochés à la lampe du plafond, les aventuriers pourront dormir paisiblement.
2e jour. Matin de brume vaporeuse et de cœur léger pour les amis. La montée est devenue très abrupte. Il faut marcher en crabe et le plus incliné possible pour éviter cette sensation de basculer en arrière. Les amis ne rencontrent plus de touristes depuis longtemps mais croisent les habitants des proches environs. Ils grimpent lentement, respectant le rythme du cœur. Ils savourent ces heures de quasi solitude malgré le froid et le brouillard maintenant intense. Ils entendent des voix graves et assourdies qui interprètent des sutras. Maintenant ils distinguent à peine les arbres qui les entourent et devinent plus qu’ils voient l’escalier qu’ils grimpent. L’ascension devient pénible. Ils lèvent les yeux. Un toit enneigé en hauts des marches. L’angle de vue s’élargit et soudain ils sont devant un temple. C’est l’arrivée au 2e monastère. Un moine portant à la ceinture de lourdes clés les accueille et leur fait immédiatement penser au Nom de la Rose ! Avec la chambre sommaire et glaciale il leur est offert des manteaux militaires de l’armée chinoise. La vie est rude parfois chez les moines !
Dans une petite pièce, les 2 amis sont assis sur un banc à côté des moines qui tendent leurs mains vers le brasero, emmitouflés dans de lourds vêtements civils et qui suivent attentivement la gestuelle élégante et élaborée du chef qui dirige une répétition de chants. En fait ils « s’entrainent » pour la cérémonie qui se déroulera plus tard. Vers 16h les moines sont dans le temple, vêtus de leurs robes jaunes. Ils entament alors la scansion des sutras. Quelle étrange atmosphère, ouatée, frileuse, sereine… Les 2 amis dormiront bien, engourdis par le froid et étourdis par l’étonnement d’être là.
3e jour. Il faut traverser le monastère et sortir par une toute petite porte pour retrouver les volées de marches. C’est un matin gris de pluie. Un brasero réchauffe les grimpeurs et fait sortir la vapeur de leurs vêtements. Un peu plus haut une gargote. Une femme qui leur propose des colifichets berce en vain son bébé qui pleure. Des petits doigts qui serrent fort le grand doigt du voyageur et le bébé qui se tait. Il faut bien repartir. Voilà que le bébé pleure à nouveau… « Je ne faisais juste que passer petit enfant ». La femme éclate de rire.
Tout près, le parking où la route qui accède au mont Emei s’arrête. Des cars, des restaurants, des boutiques et des touristes qui s’engouffrent dans un téléphérique, délaissant -probablement sans même les remarquer- les marches que continuent à grimper les 2 hommes. La brume est maintenant toute légère et vaporeuse, ils sont au-dessus des nuages. Voilà le sommet, et le soleil, et la lumière. Et les temples aux toits de tuiles colorées et vernies.
Depuis le 3e monastère où ils auront passé la dernière nuit de leur ascension, ils admireront le lever du soleil, la danse des nuages et la « lumière de Bouddha »…
Les 2 amis n’oublieront jamais ces 3 jours. Ils ont « apprivoisé » le mont Emei. Ils ont savouré la beauté et l’étrangeté des paysages, ils ont eu peur quelquefois sur les marches glissantes et abruptes, ils ont vaincu le froid, la pluie, le brouillard et la fatigue, ils ont partagé des moments chaleureux et précieux avec les moines et les gens qui vivent là. Ils n’oublieront jamais les mots de Li Po…
Le pays de Shu regorge de montagnes magiques
Mais l’Omei est au-delà de toute comparaison
Je me promène autour puis entreprends l’ascension
Extraordinaire, étrange, comment décrire ?
Le vent sombre perce le ciel
Les couleurs se mêlent, on dirait une peinture
Allègre, je contemple les brumes mauves…
Li Po l’immortel banni
« Buvant seul sous la lune »
Dolma
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Deux amis se baladent à travers le pays. La province de Sichuan, Chengdu et quelques 200 kms plus tard ils sont au pied de cet escalier qui grimpe dans les nuages, que dis-je, au-delà des nuages… Les mots de Li Po résonnent dans la mémoire de celui qui voulait marcher dans les pas du poète. Les deux amis sont venus faire l’ascension du mont Emei. Trois jours et 15000 marches plus tard ils admireront le lever du soleil, la danse des nuages et la « lumière de Bouddha »…
Novembre. Ce n’est pas le meilleur mois, il fait froid et il pleut souvent. Il faut s’adapter, se repérer, s’entrainer, monter des escaliers n’est pas une rando ordinaire.
1er jour. Tôt le matin. Beaucoup de touristes chinois qui sont arrivés en bus. Ils font quelques pas, grimpent quelques marches, les plus riches d’entre eux se font véhiculer en chaise à porteur. Ils reprendront rapidement leurs moyens de locomotion confortables pour continuer à grimper par la route ou tout simplement pour rentrer chez eux.
Les deux amis montent tranquillement. Des arbres aux branches dénudées, gigantesques silhouettes prisonnières de la brume entourent les volées de marche et dévoilent des temples qu’il est plaisant de découvrir. Des gargotes dispersées de-ci de-là permettent de se restaurer et de se réchauffer avant de continuer la montée. Passage des singes. Ils sont curieux, gourmands, facétieux et ne lâchent guère les amis jusqu’à ce que las de leur indifférence (feinte mais les singes ne le savent pas) ils les laissent continuer leur chemin.
Le brouillard est maintenant très épais. 15h et 1er monastère. Un moine vient à la rencontre des amis et leur propose une chambre confortable avec 2 lits posés sur un parquet et juste à côté un salon où il sera agréable de prendre un peu de repos. Après avoir diné d’une soupe bien chaude les 2 compères s’en vont profiter d’un sommeil bien mérité. Dans le silence de la chambre un bruit incongru, espèce de grattement. Lumière. Un rat a compris qu’il y avait de la visite et que peut-être il pourrait récupérer quelques miettes… Eh oui, il ne faut jamais laisser trainer un sac avec des provisions ! Le rat se sauve. Le téméraire reviendra, il aura même le temps de faire un trou dans une poche et se jouera des coups de batons parfaitement inutiles ! Une fois les sacs accrochés à la lampe du plafond, les aventuriers pourront dormir paisiblement.
2e jour. Matin de brume vaporeuse et de cœur léger pour les amis. La montée est devenue très abrupte. Il faut marcher en crabe et le plus incliné possible pour éviter cette sensation de basculer en arrière. Les amis ne rencontrent plus de touristes depuis longtemps mais croisent les habitants des proches environs. Ils grimpent lentement, respectant le rythme du cœur. Ils savourent ces heures de quasi solitude malgré le froid et le brouillard maintenant intense. Ils entendent des voix graves et assourdies qui interprètent des sutras. Maintenant ils distinguent à peine les arbres qui les entourent et devinent plus qu’ils voient l’escalier qu’ils grimpent. L’ascension devient pénible. Ils lèvent les yeux. Un toit enneigé en hauts des marches. L’angle de vue s’élargit et soudain ils sont devant un temple. C’est l’arrivée au 2e monastère. Un moine portant à la ceinture de lourdes clés les accueille et leur fait immédiatement penser au Nom de la Rose ! Avec la chambre sommaire et glaciale il leur est offert des manteaux militaires de l’armée chinoise. La vie est rude parfois chez les moines !
Dans une petite pièce, les 2 amis sont assis sur un banc à côté des moines qui tendent leurs mains vers le brasero, emmitouflés dans de lourds vêtements civils et qui suivent attentivement la gestuelle élégante et élaborée du chef qui dirige une répétition de chants. En fait ils « s’entrainent » pour la cérémonie qui se déroulera plus tard. Vers 16h les moines sont dans le temple, vêtus de leurs robes jaunes. Ils entament alors la scansion des sutras. Quelle étrange atmosphère, ouatée, frileuse, sereine… Les 2 amis dormiront bien, engourdis par le froid et étourdis par l’étonnement d’être là.
3e jour. Il faut traverser le monastère et sortir par une toute petite porte pour retrouver les volées de marches. C’est un matin gris de pluie. Un brasero réchauffe les grimpeurs et fait sortir la vapeur de leurs vêtements. Un peu plus haut une gargote. Une femme qui leur propose des colifichets berce en vain son bébé qui pleure. Des petits doigts qui serrent fort le grand doigt du voyageur et le bébé qui se tait. Il faut bien repartir. Voilà que le bébé pleure à nouveau… « Je ne faisais juste que passer petit enfant ». La femme éclate de rire.
Tout près, le parking où la route qui accède au mont Emei s’arrête. Des cars, des restaurants, des boutiques et des touristes qui s’engouffrent dans un téléphérique, délaissant -probablement sans même les remarquer- les marches que continuent à grimper les 2 hommes. La brume est maintenant toute légère et vaporeuse, ils sont au-dessus des nuages. Voilà le sommet, et le soleil, et la lumière. Et les temples aux toits de tuiles colorées et vernies.
Depuis le 3e monastère où ils auront passé la dernière nuit de leur ascension, ils admireront le lever du soleil, la danse des nuages et la « lumière de Bouddha »…
Les 2 amis n’oublieront jamais ces 3 jours. Ils ont « apprivoisé » le mont Emei. Ils ont savouré la beauté et l’étrangeté des paysages, ils ont eu peur quelquefois sur les marches glissantes et abruptes, ils ont vaincu le froid, la pluie, le brouillard et la fatigue, ils ont partagé des moments chaleureux et précieux avec les moines et les gens qui vivent là. Ils n’oublieront jamais les mots de Li Po…
Le pays de Shu regorge de montagnes magiques
Mais l’Omei est au-delà de toute comparaison
Je me promène autour puis entreprends l’ascension
Extraordinaire, étrange, comment décrire ?
Le vent sombre perce le ciel
Les couleurs se mêlent, on dirait une peinture
Allègre, je contemple les brumes mauves…
Li Po l’immortel banni
« Buvant seul sous la lune »
Dolma