Un dernier adieu à cette ville dont je ne reverrai, quelques heures plus tard, que sa gare. J'y délaisse mon imposant barda dans une consigne. M'étant amusé la veille à fabriquer, avec l'aide des artisans verriers, un verre à anse à Otaru, je pars le récupérer en train dans l'espoir qu'il sera prêt.
Comme me l'avait promis la vendeuse, mon objet d'art soigneusement enveloppé m'attend au comptoir du magasin. Il est déjà plus de 10 h du matin et je dois veiller à être au plus tard à midi à Sapporo car je dois me rendre à Hakkodate, étape sur le trajet de retour à Tokyo. Dans la même rue du K's Blowing, je revois l'étal d'un magasin où hier un vendeur de coquillages hélait les clients pour déguster ses huîtres, ses Saint Jasques et autres palourdes. Il maniait avec dextérité ces fruits de mer d'une longue pince et d'une écumoire et, du bout de ses outils, les tendait au public, qui se brulait les doigts d'avoir attrapé ces coquilles brûlantes cuites sur le barbecue. Mais ce qui m'avait le plus frappé, c'était sa façon d'appâter le client avec sa voix qui portait jusqu'à 50 m.
Aux portiques de la station ferroviaire, je présente mon JR Pass au portier qui me fait un signe d'accès vers les quais. Le Kaisoku venant depuis l'aéroport d'Otaru m'embarque sur ce qui fut la première ligne ferrée de l'île Hokkaido. Tout au long du littoral, c'est un joli panorama qui se révèle à travers les vitres de l'omnibus qui dessert les patelins de la côte. Puis lorsqu'il rentre dans les terres en direction de la grande ville, il entraperçoit à sa droite le parc national de Shikotsu-Toya. Arrivé enfin à Sapporo il ne me reste qu'une poignée de minutes pour sauter dans le Super-Hokuto à 12h22.
Je monte dans la voiture n°4 en place 3D et grignote mes provisions de bouche procurées à la gare en guise de déjeuner un peu tardif. Il relie les 200 km en un peu plus de 3h10. Très satisfait de la chaîne d'hôtels "Tokoyo Inn", je m'enregistre sur un de ses hôtels à Hakkodate, non loin de la mer.
Après avoir déposé mes affaires, je prends immédiatement le tramway qui me transporte près du vieux fort pentagonal Goryokaku. En fait, c'est une citadelle dont les forteresses à 5 côtés sont munies d'un système de défense redoutable pour l'époque mais qui a été déjà vu 200 ans auparavant chez nous (en France) grâce à Vauban. Donc, pour moi, cette visite ne m'aura rien appris de nouveau. Comme une sentinelle, la tour Goryokaku, qui ne date pas de 1888 mais d'une ère plus futuriste, veille sur le site historique sans péril (si ce n'est l'érosion du temps, mais là que peut faire la tour ?). Je me considère comme un nigaud et en toute connaissance de cause je paye les 8 euros pour monter à 107 m de haut dans cette tour minable mais ô combien technologique. La vue n'est pas sensationnelle. Elle permet simplement de découvrir la forme générale des remparts "gazonnés" et de jeter un coup d'oeil sur le panorama de la ville et sa baie. A l'horizon, une petite montagne se dresse dans le ciel orangé, surplombée par le funiculaire.
Quand la nuit tombe, je décide, à pied depuis mon hôtel, de rejoindre la station du téléphérique en bordant le port illuminé de ses anciens dépôts. Ces vieilles constructions promises à la destruction ont été sauvées par des restaurateurs qui les ont transformées en restaurants, boîtes de nuit et échopes de souvenirs. La chappe noire installée, on apperçoit les formes de ces bâtiments bariolés de guirlandes électriques blanches qui dessinent la silhouette des établissements. Les paquebots ancrés et brillants de leurs milliers d'ampoules suffisent à dépeindre un décor permanent de Noël au pays du bouddhisme. Pour sûr, cela attire les touristes et moi-même je succomberai à ce décor onirique.
Mais pour le moment, je gravis la côte pour atteindre la gare du funiculaire. Dans une cohue à laquelle il fallait s'attendre, je rentre dans la cabine qui, une fois remplie (je dirais même plus, bourrée) s'élève dans le ciel noir constellé de scintillements surnaturels. Sur la terrasse élevée, j'observe avec merveille le spectacle nocturne de la péninsule polluée de lumières et de couleurs dans un vent énergique presque froid. Une équipe de photographes attitrés sont habillés d'imperméables oranges. Sur leur étalage on trouve les différents modèles de photos qu'ils proposent à des prix rocambolesques. A les voir prendre un risque en grimpant sur des escabeaux pour vous faire le portrait sur le fond de ville, je comprends bien pourquoi les tarifs sont aussi hauts que leur posture de travail. Je ne voudrais pas être responsable, au coup de vent qui se lève actuellement, d'un accident de travail. C'est en partie pour cette pensée altruiste que je ne les solliciterai pas pour m'encadrer en beauté.
En redescendant depuis la station inférieure, j'emprunte une rue escarpée et arrive à hauteur d'un "7 eleven". Dans cette supérette j'achète ce qui va me sauver d'un petit-déjeunner à la japonaise. Peu courageux, je n'ose pas me plier aux goût locaux pour mon réveil et préfère avoir des petits gâteaux au chocolat en ma possession le matin. Je règle mon panier à la caisse et traverse franchement le comptoir pour me diriger vers la sortie. Mais à ma grande surprise, je me trouve dans un cul-de-sac ! Le magasin (mal conçu ?) oblige ses clients à repasser devant les caisses pour prendre la sortie. Quelle idée !
Avec tout cela, je n'ai pas encore dîné. Les entrepôts d'une deuxième vie aperçus tout à l'heure sont toujours là. Heureusement d'ailleurs, j'aurais été surpris du contraire et cela m'aurait chagriné de ne pas profiter des menus plastifiés sur les présentoirs. D'une vaste ouverture de fenêtre, je repère une grande salle de restaurant bien achalandée au cadre sympathique. Installé à une table ronde, je remarque la haute charpente voutée qui retient la toiture neuve du bâtiment et qui suspend les luminaires modernes et éclatants. Au milieu de l'immense pièce, un foyer en brique réfractaire se tient debout élancé de son tuyau de "désemfumoir". Tout autour du meuble principal sont dressées les tables de restauration harmonieusement disposées. Je choisis la table qui donne face à la fenêtre de la rue, celle-ci même blanchie par les milliers de Watts d'une économie de sur-consommation. Vers la fin de mon repas, je ne peux m'empêcher de rigoler lorsque je vois, arrêté dans l'encadrure de la fenêtre, un taxi blanc avec des taches noires évocant une robe d'un très connu ruminant et qui se fait appeler... "Moomoo Taxi".
Mais je n'ai pas besoin de ce bovidé à essence pour me ramener à mon hôtel qui est à deux pas d'ici. Des reflets lumineux étirés sur la mer charbonnée, je perçois un concert de miroitements, d'éclats, de lueurs et de couleurs qui dessinent une aquarelle nocturne, vivante et insaisissable.