Milano !
Contre allée du boulevard Edgar Quinet, le long du cimetière Montparnasse. Je marche tranquillement. Coup de klaxon, mais mesuré, à la limite de la discrétion, juste pour m'inviter à laisser passer le véhicule. Même ici, il faut que les bagnoles viennent t'emmerder. Je m'écarte. Une grosse berline noire, haute sur roues, sans doute un 4x4, commence à me doubler, le chauffeur me regarde, puis il s'arrête. Il sort un plan de Paris, et je subodore qu'il veut que le renseigne. Je m'approche près de la portière, il a baissé la vitre côté passager, la place du mort comme on dit. Le conducteur a une bonne bouille, un aspect rondouillard, la peau basanée, il porte une cravate sur une chemise bleue. Je viens de la Porte de Versailles, me dit-il. Bon, il faut que je lui indique comment sortir de Paris. Entrez ! Entrez ! m'invite-t-il avec un accent ensoleillé et un français approximatif. Il me demande de fermer la portière, pour la climatisation, puis, toujours avec volubilité, si je ne suis pas un italien car, après un rapide geste pour dessiner son propre visage, enfin pour désigner surtout ma gueule, il me dit que je ressemble à un italien. Bon, au Mexique, en Grèce, en Tunisie, Maroc, Espagne, Portugal, Italie, les gens pressés m'ont toujours considéré comme un vernaculaire jusqu'à ce que je commence à causer, alors je me marre - ce n'est pas au singe qu'à apprend à faire la grimace.
Il ne met pas longtemps à abandonner son plan de Paris, et c'est parti pour une ... "italiennade"! Il arrive d'un salon, à la Porte de Versailles, consacré à la mode. Il habite Milan. Vous connaître Milano? Non. Pas de problèmes, voici ma carte de visite, venez me voir, j'ai un magasin et patati et patata. Ah il est intarissable le milanais ! Le pauvre ! Il a un petit ennui. Il s'est arrêté dans un bar, il est allé aux toilettes en laissant sa sacoche sur la table, et, en revenant, elle n'était évidemment plus là. C'est ballot ! Il y avait tout son fric ! Vous pouvez m'aider? Et hop, il me sort un catalogue de ce que je suppose sa production, un press-book plutôt, avec des photos de mannequins hommes et femmes. Première photo, une belle brune aux cheveux de jais et yeux bleus, arborant un blouson de cuir noir. Il constate mon soudain intérêt pour la mode. C'est ma fille, elle a trente trois ans, elle attend un bébé... bon, bon, je ne vais tout de même pas aller à Milan pour assister à son accouchement, moi ! Ensuite il me montre une photo où un homme porte un long manteau. 1000 € ! me lance-t-il en agitant sa main droite avec tous les doigts qui se joignent comme pour me dire... c'est pas cher ! Une autre photo, le même gars, avec cette foi-ci un blouson en daim. Rien que 600 €, une broutille. Il se retourne vers les sièges arrières, il s'empare d'un grand sac en plastique dans lequel, bien emballé, le manteau et le blouson attendaient de faire ma connaissance. Mais d'abord, le milanais s'inquiète de ma taille. Il propose 1,6,7, comme ça, en disant les chiffres un par un. Oui, oui, je comprends, je le rassure, et je suis bluffé parce qu'il s'est trompé que d'un centimètre ! Il me fait tâter la qualité du blouson, pas celle du manteau. Ensuite, il met sa carte dans le grand sac, me le dépose sur mes genoux. Voilà, vous pouvez m'aider? Il a toujours été souriant, volubile, avec un accent ensoleillé. Et moi, aussi souriant que lui, je lui raconte que je suis parti en coup de vent de chez moi sans mon porte-monnaie. Instantanément, le sourire italien s'éteint. Comment, je vous offre, je vous fait cadeau de ces vêtements et vous ne voulez pas m'aider? Sortez, monsieur ! Son visage affiche une déception profonde, comme s'il ne s'attendait pas à ma réponse, et sa voix aussi n'a plus cette énergie de bonimenteur. Alors, je sors, je ferme la portière, et je ne bouge pas. Il m'observe, visiblement atteint, ou disons surtout déçu. Il finit par redémarrer, Eh oui, je veux voir sa plaque d'immatriculation, je veux vérifier.
Effectivement sa voiture est immatriculée en Italie.
Alors? Arnaque ou pas? Cela me parait tellement sophistiquée pour un gain éventuel pas terrible, parce qu'on ne se balade pas à Paris avec plus de 1000€ dans les poches, du moins dans ce quartier - bien entendu, ça doit arriver, mais faut avoir du flair pour repérer quelqu'un susceptible d'avoir les poches pleines, dans ce cas là mon italien n'a pas fait preuve d'une grande perspicacité.
Pour ma part, ce dont je suis sûr, c'est que j'ai toujours ce don (

) improbable de décevoir les gens qui me demandent de l'argent.