Monsieur Henrick est un drôle de paroissien : il veut être moine en Thailande ! Quelle idée !
Bon, ce ne sera pas le premier blanc a revêtir la robe safran. Peut-être le premier Belge? Car monsieur Henrick est Belge, ce qui n'explique en rien sa démarche. Lorsqu'on me l'a présenté, j'ai vu un homme relativement âgé, marchant avec difficulté et, sous ses sourcils broussailleux, un regard malicieux, matois, comme s'il jaugeait ce qu'il pourrait vendre à son interlocuteur. Il portait sa tenue blanche d'impétrant, avant que de se voir attribuer éventuellement la tenue officielle, et il se tenait à l'entrée de son bungalow, genre de maisonnettes plus ou moins sommaires que l'on voit autour des temples, mais toujours semblables à une remise, au fond du jardin, dans laquelle on rangerait des outils. La surface réduite de ces logements doit permettre aux moines, a priori, de ne pas se laisser distraire par les choses extérieures, les contingences superfétatoires, mais monsieur Henrick n'en a cure : il possède, dans son réduit monastique, deux ordinateurs portables avec lesquels il passe ses journées a pirater une quantité phénoménale de films, ensuite il les stocke sur des disques durs amovibles, puis... plus rien, il ne sait pas pourquoi il fait ça, sans doute une manie, ou alors c'est l'idée qu'il se fait de la méditation ; d'aucun se concentre sur la flamme d'une bougie, un point sur un mur, monsieur Henrick, lui, allume son ordinateur. Je me souviens de lui avoir parlé d'un Australien de mes connaissances qui m'avait assuré qu'il méditait une heure par jour, et monsieur Henrick de me rétorquer qu'il méditait, lui, carrément six heures par jour ! Là, j'ai tiqué, mais, après tout, monsieur Henrick est peut-être un pionnier, celui qui va ouvrir de nouvelles perspectives au bouddhisme, une nouvelle route, dont la méditation informatique serait le premier jalon. Ah Bouddha doit être vachement furax ! Lui qui avait prédit que l'accueil des femmes dans la communauté (sangha)signerait la disparition de celle-ci -ce qui s'avéra exact- avait-il prévu, une fois, l'arrivée des Belges ? Ou alors, plongé dans un abîme de compassion, il ne peut que sourire devant ces adultes qui sont bien rares à le devenir. Ainsi, monsieur Henrik, comme les enfants, n'aime pas avoir froid la nuit. Il n'a pas trouvé mieux que d'acheter un chauffage électrique particulier ! Le bouddhisme, plus l'électricité, c'est sa voie originale vers la sagesse, la plénitude dans le 220 volts ! Quant au temple qui l'accueille, fort original par son architecture en forme de tour, il acquiert une grande réputation grâce au moine qui le dirige, capable, dit-on, de prédire l'avenir et d'être de bon conseil.
Monsieur Henrick s'est replié en Thaïlande après avoir séjourné de nombreuses années en Inde où il a survécu à une crise cardiaque - chapeau ! Depuis, il porte un pacemaker, il doit prendre des pilules de je ne sais trop quoi tous les jours, surveiller son alimentation, son taux de cholestérol, ne pas boire d'alcool, bref, tous les ingrédients nécessaires pour s'interroger sur son devenir, méditer sur la fragilité des choses et sa chance de revoir le printemps. C'est donc la raison de son installation en Thaïlande qui offre le repos, le confort nécessaire pour quelqu'un qui a flirté avec la camarde. Dire qu'il n'a pas vécu dans ce pays, au cours des années qui suivirent, sans tirer profit d'affaires plus ou moins curieuses, ce serait mentir, enfin un petit peu, surtout que monsieur Henrick n'a pas de morale, mais ne comptez pas sur moi pour vous fournir des détails croustillants, je ne veux pas être complice de la Justice... on a sa dignité, quoi !
Si monsieur Henrick n'avait pas rencontré monsieur Hoovipars, un américain d'origine belge - ils se sont découverts une parentèle commune issue d'un vague cousinage avec un éclusier-, il n'aurait jamais mis les pieds dans ce fameux temple. Au cours d'une discussion sur les lieux bouddhistes de la région thaïlandaise, où tous les deux aiment prendre leurs quartiers loin des frimas occidentaux, monsieur Hoovipars lui a conseillé de consulter ce moine qui prédit l'avenir, comme ça, au débotté, histoire de dire quelque chose d'utile, parce que, pour lui, ce moine lui inspire plutôt une énorme réserve, et il le trouve fort curieux avec son physique imposant, sa mine réjouie, et sa préciosité dans sa façon de porter sur le creux de son coude un collier avec des énormes boules en bois, sans oublier ses socquettes blanches et son plaisir à se faire photographier.
Un matin, monsieur Henrick s'est décidé. Au milieu des Thaïs de tous sexes, il a attendu son tour pour passer devant ce moine devin. Les femmes posent leur question sur un bout de papier qu'elles déposent dans un petit panier en osier, et un assistant le passera au moine - un moine bouddhiste traite toujours une femme avec des pincettes, comme si elle avait une maladie contagieuse. Une télévision, au pied d'une statue de Bouddha, pourvoit à l'impatience des anxieux et des angoissés du lendemain qui souvent déchante. Mais monsieur Henrick n'a pas eu trop longtemps à lambiner car, mu soudain comme par une inspiration divine, le moine s'est levé, étonnant tout son monde et son petit personnel, a traversé la salle pour s'arrêter devant notre Belge, à genoux comme les autres. Êtes-vous prêt ? lance-t-il aussitôt. Subjugué, monsieur Henrick dit oui. Et le jour même, il a acheté sa tenue blanche. Le lendemain, il s'est installé dans son cagibi. Alors, il semblerait que le moine aurait rêvé qu'un farang (étranger à peau blanche) se présenterait à sa matinale très courue, et ce farang, au bout de trois mois, prendrait possession du "troisième œil", celui qui voit dans le futur. En attendant, monsieur Henrick a la vie facile. Une visite à l'hôpital ? Un coup du fil, et une voiture de la police vient chercher monsieur Henrick pour le convoyer là où il juge nécessaire pour ses convenances et son bien-être personnel. Un 4x4 BMW, m'a assuré monsieur Henrick, trop fier - une précision qui m'a laissé de marbre.
Il y a quelques jours, toujours un matin - le meilleur moment pour observer la vie du temple - j'ai photographié le devin bouddhiste en train de bénir des voitures, et ensuite arroser copieusement leurs propriétaires, nus sous des sarongs loués par le temple. Après cette cérémonie, spirituellement rocambolesque, je me suis approché du moine pour lui dire que je connais monsieur Henrick, et lui, aussitôt, il m'a demandé, avec une pointe d'inquiétude, si monsieur Henrick apprenait le thaï. Tout de même, il pourrait le deviner ! Ma réponse, fort diplomatique, mi chèvre mi chou, l'a plongé dans la perplexité - c'est mal barré, quoi ! Enfin, monsieur Henrick se sent bien en ces lieux, n'est-ce point l'essentiel ? D'ailleurs, il ne prend plus ses médicaments - ça, ce n'est pas malin, monsieur Henrick. Néanmoins, il lui arrive parfois de se plaindre, sur, par exemple, la nourriture qu'il trouve trop riche, trop grasse. Ah c'est qu'il leur donnerait des leçons d'ascèse à ces gens-là ! Il n'a pas manqué de dire au devin qu'il a besoin de manger des légumes cuits à la vapeur. Eh bien, on a acheté pour lui un auto-cuiseur à vapeur. Depuis, tous les jours, à dix heures, monsieur Henrick se rend dans les cuisines et montre au petit personnel les légumes qu'il veut manger à 11h30 ! Qu'on se le dise ! Monsieur Henrick n'est pas né de la dernière pluie, il sait très bien qu'il est une publicité vivante pour la renommée du temple - pour ma part, je m'interroge, j'ai l'impression que le moine a confondu le "troisième œil" avec le mauvais !
La dernière fois que j'ai vu monsieur Henrick, je lui ai demandé la date de la cérémonie d'intronisation officielle dans la communauté - tête entièrement rasée et attribution de la robe safran... On ne sait pas encore, m'a-t-il dit, avec ses yeux pétillants de malice, sous des sourcils broussailleux.
Bon, ce ne sera pas le premier blanc a revêtir la robe safran. Peut-être le premier Belge? Car monsieur Henrick est Belge, ce qui n'explique en rien sa démarche. Lorsqu'on me l'a présenté, j'ai vu un homme relativement âgé, marchant avec difficulté et, sous ses sourcils broussailleux, un regard malicieux, matois, comme s'il jaugeait ce qu'il pourrait vendre à son interlocuteur. Il portait sa tenue blanche d'impétrant, avant que de se voir attribuer éventuellement la tenue officielle, et il se tenait à l'entrée de son bungalow, genre de maisonnettes plus ou moins sommaires que l'on voit autour des temples, mais toujours semblables à une remise, au fond du jardin, dans laquelle on rangerait des outils. La surface réduite de ces logements doit permettre aux moines, a priori, de ne pas se laisser distraire par les choses extérieures, les contingences superfétatoires, mais monsieur Henrick n'en a cure : il possède, dans son réduit monastique, deux ordinateurs portables avec lesquels il passe ses journées a pirater une quantité phénoménale de films, ensuite il les stocke sur des disques durs amovibles, puis... plus rien, il ne sait pas pourquoi il fait ça, sans doute une manie, ou alors c'est l'idée qu'il se fait de la méditation ; d'aucun se concentre sur la flamme d'une bougie, un point sur un mur, monsieur Henrick, lui, allume son ordinateur. Je me souviens de lui avoir parlé d'un Australien de mes connaissances qui m'avait assuré qu'il méditait une heure par jour, et monsieur Henrick de me rétorquer qu'il méditait, lui, carrément six heures par jour ! Là, j'ai tiqué, mais, après tout, monsieur Henrick est peut-être un pionnier, celui qui va ouvrir de nouvelles perspectives au bouddhisme, une nouvelle route, dont la méditation informatique serait le premier jalon. Ah Bouddha doit être vachement furax ! Lui qui avait prédit que l'accueil des femmes dans la communauté (sangha)signerait la disparition de celle-ci -ce qui s'avéra exact- avait-il prévu, une fois, l'arrivée des Belges ? Ou alors, plongé dans un abîme de compassion, il ne peut que sourire devant ces adultes qui sont bien rares à le devenir. Ainsi, monsieur Henrik, comme les enfants, n'aime pas avoir froid la nuit. Il n'a pas trouvé mieux que d'acheter un chauffage électrique particulier ! Le bouddhisme, plus l'électricité, c'est sa voie originale vers la sagesse, la plénitude dans le 220 volts ! Quant au temple qui l'accueille, fort original par son architecture en forme de tour, il acquiert une grande réputation grâce au moine qui le dirige, capable, dit-on, de prédire l'avenir et d'être de bon conseil.
Monsieur Henrick s'est replié en Thaïlande après avoir séjourné de nombreuses années en Inde où il a survécu à une crise cardiaque - chapeau ! Depuis, il porte un pacemaker, il doit prendre des pilules de je ne sais trop quoi tous les jours, surveiller son alimentation, son taux de cholestérol, ne pas boire d'alcool, bref, tous les ingrédients nécessaires pour s'interroger sur son devenir, méditer sur la fragilité des choses et sa chance de revoir le printemps. C'est donc la raison de son installation en Thaïlande qui offre le repos, le confort nécessaire pour quelqu'un qui a flirté avec la camarde. Dire qu'il n'a pas vécu dans ce pays, au cours des années qui suivirent, sans tirer profit d'affaires plus ou moins curieuses, ce serait mentir, enfin un petit peu, surtout que monsieur Henrick n'a pas de morale, mais ne comptez pas sur moi pour vous fournir des détails croustillants, je ne veux pas être complice de la Justice... on a sa dignité, quoi !
Si monsieur Henrick n'avait pas rencontré monsieur Hoovipars, un américain d'origine belge - ils se sont découverts une parentèle commune issue d'un vague cousinage avec un éclusier-, il n'aurait jamais mis les pieds dans ce fameux temple. Au cours d'une discussion sur les lieux bouddhistes de la région thaïlandaise, où tous les deux aiment prendre leurs quartiers loin des frimas occidentaux, monsieur Hoovipars lui a conseillé de consulter ce moine qui prédit l'avenir, comme ça, au débotté, histoire de dire quelque chose d'utile, parce que, pour lui, ce moine lui inspire plutôt une énorme réserve, et il le trouve fort curieux avec son physique imposant, sa mine réjouie, et sa préciosité dans sa façon de porter sur le creux de son coude un collier avec des énormes boules en bois, sans oublier ses socquettes blanches et son plaisir à se faire photographier.
Un matin, monsieur Henrick s'est décidé. Au milieu des Thaïs de tous sexes, il a attendu son tour pour passer devant ce moine devin. Les femmes posent leur question sur un bout de papier qu'elles déposent dans un petit panier en osier, et un assistant le passera au moine - un moine bouddhiste traite toujours une femme avec des pincettes, comme si elle avait une maladie contagieuse. Une télévision, au pied d'une statue de Bouddha, pourvoit à l'impatience des anxieux et des angoissés du lendemain qui souvent déchante. Mais monsieur Henrick n'a pas eu trop longtemps à lambiner car, mu soudain comme par une inspiration divine, le moine s'est levé, étonnant tout son monde et son petit personnel, a traversé la salle pour s'arrêter devant notre Belge, à genoux comme les autres. Êtes-vous prêt ? lance-t-il aussitôt. Subjugué, monsieur Henrick dit oui. Et le jour même, il a acheté sa tenue blanche. Le lendemain, il s'est installé dans son cagibi. Alors, il semblerait que le moine aurait rêvé qu'un farang (étranger à peau blanche) se présenterait à sa matinale très courue, et ce farang, au bout de trois mois, prendrait possession du "troisième œil", celui qui voit dans le futur. En attendant, monsieur Henrick a la vie facile. Une visite à l'hôpital ? Un coup du fil, et une voiture de la police vient chercher monsieur Henrick pour le convoyer là où il juge nécessaire pour ses convenances et son bien-être personnel. Un 4x4 BMW, m'a assuré monsieur Henrick, trop fier - une précision qui m'a laissé de marbre.
Il y a quelques jours, toujours un matin - le meilleur moment pour observer la vie du temple - j'ai photographié le devin bouddhiste en train de bénir des voitures, et ensuite arroser copieusement leurs propriétaires, nus sous des sarongs loués par le temple. Après cette cérémonie, spirituellement rocambolesque, je me suis approché du moine pour lui dire que je connais monsieur Henrick, et lui, aussitôt, il m'a demandé, avec une pointe d'inquiétude, si monsieur Henrick apprenait le thaï. Tout de même, il pourrait le deviner ! Ma réponse, fort diplomatique, mi chèvre mi chou, l'a plongé dans la perplexité - c'est mal barré, quoi ! Enfin, monsieur Henrick se sent bien en ces lieux, n'est-ce point l'essentiel ? D'ailleurs, il ne prend plus ses médicaments - ça, ce n'est pas malin, monsieur Henrick. Néanmoins, il lui arrive parfois de se plaindre, sur, par exemple, la nourriture qu'il trouve trop riche, trop grasse. Ah c'est qu'il leur donnerait des leçons d'ascèse à ces gens-là ! Il n'a pas manqué de dire au devin qu'il a besoin de manger des légumes cuits à la vapeur. Eh bien, on a acheté pour lui un auto-cuiseur à vapeur. Depuis, tous les jours, à dix heures, monsieur Henrick se rend dans les cuisines et montre au petit personnel les légumes qu'il veut manger à 11h30 ! Qu'on se le dise ! Monsieur Henrick n'est pas né de la dernière pluie, il sait très bien qu'il est une publicité vivante pour la renommée du temple - pour ma part, je m'interroge, j'ai l'impression que le moine a confondu le "troisième œil" avec le mauvais !
La dernière fois que j'ai vu monsieur Henrick, je lui ai demandé la date de la cérémonie d'intronisation officielle dans la communauté - tête entièrement rasée et attribution de la robe safran... On ne sait pas encore, m'a-t-il dit, avec ses yeux pétillants de malice, sous des sourcils broussailleux.