Jour 9 – Derniers fjords de l’est
Il y a souvent dans mes voyages un ou deux jours plus maussades, durant lesquels je suis envahie d’une certaine lassitude. En Islande, c’est de fait le cas depuis hier. Entre fatigue et météo grisounette, c’est un sentiment de déception et frustration qui aurait tendance s’installer. Et pourtant, les beautés à découvrir ne sont pas inexistantes le long de cette route côtière que nous reprenons en direction du sud.
Si le plafond n’est guère plus haut que la veille et nous cache encore la majorité des sommets, nous pouvons néanmoins observer de relativement près les pentes abruptes de caillasses et graviers basaltiques noirs ou colorés de rhyolite qui dégringolent jusqu’à la route que nous empruntons à leurs pieds. Il n’y a aucun mal à croire les panneaux routiers mettant en garde contre les chutes de pierres, tant la question me taraude l’esprit : comment tout cela tient-il ?
Et côté mer, nous ne sommes pas non plus au bout de nos surprises. Aujourd’hui, ce sont quelques dauphins qui ont décidé de venir nous faire un petit coucou de leurs nageoires dorsales, à quelques mètres du rivage et de la route. Rencontre imprévisible : ce n’est ni la période, ni les lieux les plus propices.
Un peu plus loin, c’est consciemment que nous nous enfonçons dans le « fjord des cygnes », Álftafjörður. Et ils sont au rendez-vous, par milliers, dans toute leur élégance et pas aussi farouches qu’on le dit.

La randonnée du jour nous engage dans une vallée en bout de fjord, le long d’une des innombrables rivières de ce pays. Le sentier monte tranquillement au milieu des habituels buissons d’arbres arctiques, des herbes rases fleuries et couches de mousses fluorescentes, sous l’œil curieux ou narquois des inévitables et inséparables trios de moutons. A y regarder de plus près, ce sentier est différent des précédents : il est composé d’une multitude de petits cailloux de rhyolite colorée. Des ocres, des bordeaux, des violets, des verts, des blancs et toute la palette de couleurs y passe. Levons la tête sur la gauche, et c’est une vallée annexe aux pentes colorées qui se dévoile, comme un avant-goût de ce que l’on devrait découvrir au Landmannalaugar… Sauf que le temps reste très gris, que la bruine s’installe et que nous n’en verrons aujourd’hui guère plus.

Après le pique-nique humide, nous redescendons… au début tranquillement sur le sentier, mais bien sûr cela ne dure pas et nous finissons de rincer nos pantalons dans le fouillis détrempé des arbustes, au risque permanent d’y laisser une cheville ou pire… Pour couronner le tout, la pluie s’invite carrément, et c’est détrempée, gelée et furieuse que je reviens au véhicule. Séance de striptease garanti : je veux me mettre au sec ! Heureusement le surpantalon est dans le sac et sec (tout le monde n’a pas la chance d’avoir du change sous la main), mais il n’est guère facile de l’enfiler en étant humide et me contorsionnant sur mon siège… Et cette petite gymnastique ne suffit pas à me réchauffer. L’humeur est donc en accord avec le paysage qui défile derrière les essuie-glaces : gris de ciel, gris de cailloux, gris de mer…
Une petite randonnée côtière était encore prévue pour cet après-midi, mais vu le temps et l’humeur des troupes, Jön en abandonne l’idée. Néanmoins, il n’est pas tard et il nous propose un crochet vers la première langue glaciaire du Vatnajökull, l’immense glacier-volcan du sud-est du pays, que nous apercevons : Hofelljökull. Le van stationne au bord du petit lac glaciaire gris dans lequel flottent nos premiers glaçons gris qui se détachent de la masse grise de glace et ses moraines noires. Toujours pas réchauffée ni réconciliée, je refuse de descendre du van pour profiter de l’accalmie des eaux du ciel en allant voir cela de plus près. La vue d’ici me suffit pour aujourd’hui ; je compte sur de meilleures dispositions météo et personnelles pour demain…

Il est relativement tôt quand nous arrivons à Höfn quelques kilomètres plus loin, et se promener sur le port et en ville pourrait s’envisager, si ce n’est les trombes d’eaux qui se déversent sur nous, accompagnées de bourrasques bien désagréables. Repli stratégique dans l’AJ fréquentée qui nous accueille ce soir. Installation, popotte, douches, petite soirée tranquille au sec… entre brouhaha de Français (beaucoup), Italiens (toujours), Anglais, Espagnols et Russes…