Vovonne

Dediou Maria, tu plombes le blabla de Vovonne.

L'avait quel âge ton fils ? Un vieux déjà, je crois.
T'as pas l'humeur rose, allez, on l'enterre en grande pompe derrière l'église du village.(C'est quoi sa pointure, du 44 ?)
Et après, on fait la fête.
T'as pas un arrière petit-fils à faire naître, ça serait marrant de raconter la naissance, enfin, c'est une idée, comme ça en passant.
Tu pourrais dire : "de mon temps, y'avait le forceps qui mettait sa marque du diable sur le crâne de l'enfant alors que maintenant on césarie à tour de bras etc.. etc..

Pour Vovonne tout va bien, elle m'a filé son gigot, je lui ai dit que son fils n'était qu'un petit con prétentieux, on a bu un coup de cidre assise sur le muret chaud de soleil.
Le gigot, c'est meilleur rosé que je lui ai dit, mais -à cheval donné on ne regarde pas la dent- n'est-ce-pas ?

Et hop Maria, plie "Veillées des Chaumières", ouvre une vieille bd comme Nabuchodinosaure et reviens te marrer, je t'attends.

J'ai installé mon ordinateur sur la table en acacia sous la glycine. Félix a tiré un grand fil et ça marche bien.
J'ai lu ce que la voisine a écrit. Je trouve que c'est désagréable et pas très sympathique pour vous, Maria.
En plus, de quoi se mêle t-elle ? Cette dame ne s'adressait pas à elle.

Moi, je suis d'accord avec ce que vous dites sur les enfants.
Mes garçons sont bien vivants et ne boivent pas pour ce que j'en sais.
Y'a des enfants qui sont des boulets et comme au bagne, on les a, toute la vie, accrochés en bandoulière.
Maria, vous devez vous sentir responsable parce que, quoiqu'on ait fait, on a failli quelque part .
J'ai pas raison ?
Ca fait une impression curieuse d'écrire à quelqu'un que l'on ne connait pas, parce que j'ai l'habitude de me raconter mes petites histoires, bien tranquillement.

La voisine, quand elle va saluer Pierrot, elle dit qu'elle va faire ses civilités gérontophiles. Je ne comprenais pas et en fait ça veut dire qu'elle aime bien les petits vieux. Moi, j'en suis une de vieille mais encore si alerte qu'elle peut pas me mettre dans son panier gériatrique.
Vous, vous êtes une vieille dame et je peux bien correspondre avec vous si vous vous ennuyez trop dans votre appartement ou votre maison, je n'en sais rien.

Habitez vous seule ? J'espère que des aides ménagères viennent vous aider, c'est usant d'entretenir sa maison, j'en sais quelque chose avec mon sol qu'il faut nettoyer tous les jours.
Avez-vous fait des grandes études ? Si c'est le cas, ne m'en voulez pas de mes fautes d'orthographes, j'ai pas été longtemps à l'école.

N'écoutez plus ma voisine si grincheuse parfois, elle sait être autant avenante que désagréable.
Je serai contente de vous lire.

Bonsoir Mme Vovonne,

Je suis contente de vous avoir lue car hier soir j'étais très chagrinée des réponses de vos amies. J'ai mal dormi.

Vous savez, moi je ne sais rien inventer, je vous raconte juste un peu ma vie, ma fin de vie.
Oui, mon fils avait 63 ans, non il ne chaussait que du 43 et non, je ne me sens pas responsable de tout. Longtemps j'ai pensé que tout était de ma faute et puis un jour j'ai entendu une émission à la radio où le médecin des âmes disait que chaque personne fait ses propres choix de vie, même avec de gros arriérés, on peut toujours s'en sortir... alors je suis devenue plus philosophe, et puis c'est l'âge aussi.

Oui, j'ai des aides à domicile autour de moi, d'ailleurs...
Je vous en parlerais plus tard car justement il faut qu'elle s'en aille la petite.

Maria

Je vois que vous avez écrit et je me suis sentie contente ce matin.
Je n'aime pas les fâcheries parce que ça fait comme une écharde sous l'ongle. Un rien, avec une petite pointe sombre qui dépasse et qui fait mal.

J'ai repensé à votre fils et avec l'alcool qui allumait une méchante mèche à huile pour éclairer ses journées. Ici, dans mon village, on a René qui a tellement bu que maintenant il a perdu la parlotte et la lecture et l'écriture. Quand je lui dis bonjour, il répond avec une bouillie de mots et si je lui dis que je n'ai pas compris il s'énerve et si je fais semblant de le comprendre, il voit que je mens et il s'énerve aussi. René, c'est un homme qu'a toujours été doux même quand il était pris de boisson.

Ce matin, j'avais attaché les lanières du rideau de la salle et je buvais mon café dans mon grand bol jaune, assise sur les marches froides du perron. Je regardais l'oisillon tourterelle. Le couple de tourterelles revient tous les ans et ils font leur nid toujours dans mon panier en fer accroché à la porte du hangar. Ils ont eu deux petits et je m'émerveille de voir que chacun, chaque année, s'envole à deux jours d'intervalle. C'est comme le papier musique, bien réglé.
Il y a aussi derrière le volet, un couple de mésanges qui travaille d'arrache pattes pour faire le nid. L'un deux, doit être préposé aux ficelles car il transporte des bouts qui traînent derrière lui.

C'est comme nous Maria, on prépare la future vie de nos enfants, ont leur donne la becquée, on les cajole et ils s'en vont. Je me rappelle d'une chanson de Marie Laforêt que j'aime beaucoup. Ca s'appelle cadeau.

« Pour avoir fait mon lit toute la semaine 3 francs
Pour avoir été aux commissions 1 franc
Pour avoir surveillé le bébé pendant que toi tu allais aux commissions 1 franc 25
Pour avoir descendu la corbeille à papiers 75 centimes
Pour avoir remonté la corbeille à papiers 1 franc et 10 centimes
Pour avoir arrosé les fleurs sur le balcon 25 centimes
Total 9 francs et 85 centimes.

Pour neuf mois de patience et douze heures de souffrance
Cadeau
Pour tant de nuits de veille, surveillant ton sommeil
Cadeau
Pour les tours de manège, les jouets, le collège
Cadeau
Et quand on fait le tour, le total de mon amour,
Cadeau"

Quand je vous écrit ces mots, je sens que j'ai encore le cœur à fleur d'yeux parce qu'ils piquent.

Je regrette de n'avoir pas eu de fille. Peut-être que c'est simple la vie avec une fille, peut-être qu'on parle facilement, peut-être qu'on se sent complice.

Je n'encombre pas davantage cette page, je vous cède ma place ou celle de la petite qui écrit pour vous.

Bonjour Mme Vovonne,

Je viens de lire plusieurs fois cette chanson de Marie Laforêt, je ne suis pas trop chanson et musique, mais comme j'ai aimé celle-là, moi aussi elle m'a fait venir l'eau dans les yeux.
Que c'est moche d'avoir à faire des comptes avec ses enfants, et pourtant : est-ce-que j'ai donné autant d'amour à celui-ci, de l'attention à celle-là, j'ai été assez présente ? et le tableau qui lui plaisait... j'ai pensé à donner qque chose à l'autre ? Bof ! Et avec ma tête qui s'en va je vais surement faire des gaffes ! Tant pis, ils sont grands maintenant ils s'en accommoderont.

Vous voulez en savoir plus ; je n'ai pas été habituée à parler de moi.
Par tempérament je ne suis pas une personne très gaie ni très sociable. J'ai trainé toute ma vie un gros complexe d'infériorité -je ne suis pas allée à l'école- du moins j'ai arrêté au certificat d'études. Mes parents avaient besoin d'une bonne à la ferme, oui une bonniche ! Alors que mes petites copines continuaient leurs vies d'enfant, je suis restée travailler à la maison : laver, nettoyer, donner à manger aux hommes et aux bêtes, des engelures sur les mains, du fouet sur les jambes...
Je commence seulement à en parler.
Et surtout une atmosphère pesante, pas d'amour, pas de joie...

Heureusement, plus tard... mais je reste très marquée.

Au fait, j'ai trois filles, oui c'est plus complice qu'avec un garçon mais c'est aussi plus envahissant, surtout maintenant que je suis à leur merci : maman fais çi, maman fais ça, maman tu devrais....
Heureusement qu'elles sont là même si elles ont trop de sollicitude...

Et puis je crois que je voudrais du calme, du repos : j'ai les infirmières, le kiné, les aides à domicile, je ne suis jamais tranquille ! J'ai besoin de laisser aller mes pensées, de laisser filer mes souvenirs et tout le monde est autour justement pour ne pas me laisser seule !... et je n'ose rien dire !

J'ai aussi mes petites-filles, de jeunes femmes maintenant, et c'est peut-être auprès d'elles que je suis le mieux...

Je suis trop bavarde, oui ferme l'ordinateur

Maria

A mon tour je vous dis le bonjour.
Quelle impression étrange de tenir cette correspondance, c'est la première fois de ma vie.

Il y a bien des ressemblances entre nos existences et nos vies ont été arouëllées au manque de douceur alors forcément c'est pas facile d'accepter la sollicitude des autres.

On croit souvent qu'il faut absolument que les vielles gens soient occupés et vous avez de la chance d'être chez vous mais pensez donc à ceux qui sont dans des maisons de retraite. On leur fait faire des ateliers qu'ils appellent ça. Des ateliers de gymnastique, de chant, de mémoire.
Quand je vais voir Baratte, elle s'en plaint chaque fois.
Elle dit qu'elle aimerait rester dans son fauteuil parce qu'elle a tellement de choses à se rappeler et à se souvenir que si on l'asticote tout le temps, on lui laisse pas de temps de simplement fermer les yeux et penser.
Ca doit être pareil pour vous.

C'est comme l'hygiène, elle raconte qu'on l'étrille sans douceur tous les jours que le bon dieu fait alors qu'à son époque qu'est la vôtre aussi on faisait la grande toilette que le dimanche en changeant de culotte. Faut dire que Baratte, elle sent un peu le pipi, que voulez-vous, ça fuite à cet âge. Pardonnez moi Maria, je dis pas ça pour vous bien sûr.
Je vous l'avoue, je ne monte plus tous les jours dans ma baignoire sabot qu'à un tapis de caoutchouc au fond pour pas glisser. Je suis pas si sale je crois qu'il faut des litres d'eau pour se décrasser.

Je vois aussi que vous ne savez pas dire non.
Moi non plus et c'est pour ça qu'il y a souvent quelqu'un à la table de ma salle, les avant-bras collés à ma nappe plastique toute neuve que j'ai acheté chez Aldi pour 10 euros50 cet hiver.
J'ose pas dire, reviens plus tard et j'ai plus qu'à m'assoir et écouter.
Peut-être que vos filles ont peur que vous mouriez et qu'elles se sentiraient soulagées.
Alors, plus elles ont honte et plus elles s'occupent de vous.
Vos petites filles qui sont des jeunes femmes, elles pensent tellement pas à la mort parce qu'elles sont dans la jeunesse à croire que ça durera toujours et alors, elles ont que le plaisir d'embrasser votre joue qui doit être si fine et douce que ça fait comme le doudou de ma petite fille qui est un bébé.

Ma peau aussi elle est douce, il me dit Félix, mais elle s'éroufle comme un rien.
Un bébé, tout le monde le bizouille, moi, je suis tranquille et tant mieux parce que j'aime pas qu'on me touche. Sauf Félix mais c'est pas pareil.

Allez, Maria, ca me fait plaisir de graffiner nos vies. Graffiner, c'est gratter légèrement, et c'est ce que vous faites et moi aussi.

Ouvrez votre ordinateur, je vous attends plus tard.

Oh Maria !

La chanson de Marie Laforêt que je préfère est - et de loin ! - celle où il est question du laitier de Giscard.
"Cadeau", c'est juste une mère geignarde qui présente, avec beaucoup d'habileté, la facture à son môme. Beurk.

Chère Madame Vovonne,


J'ai mis un peu de temps Madame Vovonne avant de vous répondre mais je suis fatiguée en ce moment ; je n'ai même plus le courage de lire mon journal, dès que je me pose, je m'endors.
Pourtant j'ai toujours lu mon journal au petit-déjeuner le matin, quel plaisir ! Souvent nous nous le partagions avec mon mari. Vous faites ça aussi avec Félix ? Lui la page des sports et vous les nouvelles du canton ? Et ensuite on inverse ?
Maintenant je commence un peu à regarder les grands titres dans l'après-midi et le journal me tombe des mains ! Même lire m'épuise... ou alors ce sont les cachets ? Je les soupçonne de me donner de quoi bien dormir et du coup... je dors toute la journée !

Oui, elle est bien étrange cette correspondance que nous avons entamée ; aimez-vous écrire ? Les gens ne s'écrivent plus maintenant et voyiez, moi-même j'ai sacrifié à la mode de l'ordinateur !
Nous nous plaignons que les bureaux de poste deviennent de vrais guichets de banque mais qui va encore poster sa lettre d'amour ou d'amitié dans une belle enveloppe colorée et choisit le timbre rare de collection ? Quoique, à choisir, j'achète encore volontiers de jolis timbres... mais la plupart du temps c'est pour les envoyer à la Sécu ou aux Impôts !
Pourtant, j'en ai écrit des lettres, de quoi remplir une grande malle... mon mari était militaire, Indochine, Algérie, mes lettres sont parties au bout du monde et les siennes m'arrivaient pleines d'odeurs inconnues. Trois semaines souvent pour que le facteur m'apporte les nouvelles, il était attendu tous les jours et il s'incrustait pour boire son petit coup alors que j'avais tellement hâte d'ouvrir l'enveloppe, et je lisais, je relisais, à la fin je les connaissais par coeur.
Mais ce n'était pas toujours de bonnes nouvelles ; la grippe asiatique de l'un, les résultats scolaires des enfants, les problèmes d'argent, la blessure lors d'un combat, la permission retardée tout cela s'emmêlait avec mon quotidien. C'était bizarre quand j'y repense, nos discussions étaient tellement décalées...

J'aime vous écrire, je pense à l'avance ce qui va pouvoir vous intéresser ; une autre fois je vous parlerais de mes voisines de table...

Maria

Bonsoir Maria,

J'ai eu peur un instant de ne plus vous lire, j'aurais été bien décue.
Un coup de fatigue vous a retardé et me voilà soulagée.
Le grand âge autorise vos absences et je saurai donc me montrer patiente.

Ici, on ne parle que de la sécheresse. J'ai lu, sur le panneau d'affichage du village que depuis mi-avril nous devons limiter l'utilisation de l'eau. C'est le préfet qui l'a dit. Ce sont des décrets avec des numéros et on sait même pas à quoi ça correspond. Hier, le préfet il en a rajouté un, de numéro de décret. Application immédiate. Appliquer quoi, ça, on sait pas.
Le maire il est passé à la maison et Félix arrosait le potager.
Le maire, il lui a dit :
«  Félix, t'sais que t'as pas le droit d'arroser comme ça »
Et Félix, il a répondu :
«  Dis, Jean (c'est le nom du maire), tu fais ce que tu veux dans ta mairie et avec tes hortensias qui sèchent sur pieds, ta mairie c'est public. Ici, t'es chez moi, c'est privé et je pompe mon eau de puit comme je veux. L'est pas encore arrivé le temps ou chez moi, c'est chez les autres, va donc voir les jardineries qui vendent les plants et tu leur interdit de vendre, parce que les plants, ça s'arrose tout de suite pour que ça pousse ».


Les blés sont rabougris cette année et faudra pas compter sur celui des russes pour la France, les russes, ça a tout brûlé chez eux et le temps qu'ils remplissent leur silo, ça va durer.

Faudrait aussi, d'ailleurs, arrêter la machine de l'Eléphant Bleu, à côté d'Atac, qui lave les voitures des gens toute la journée.
C'est de l'hypocrisie tout ça.
Le voisin qui parle avec des beaux mots, il dit que les politiques, c'est tout des imposteurs de céans et la voisine, elle m'a expliqué, ça veut dire des faux-culs en langue de tout le monde.

J'arrête de vous ennuyez avec ces choses parce que vous devez vous aussi me parler de vos voisines.
Je suis curieuse parce que j'ai relu ce que vous m'écrivez depuis le début et je ne trouve pas la réponse.
Est-ce que ce sont les voisines de votre immeuble, des voisines de palier, est-ce que ce sont des voisines de chambre, dans une maison de retraite, des voisines de la rue de votre village ?
Vous ne dites pas beaucoup des choses de vous,sans doute c'est de la pudeur que ça s'appelle.

L'autre jour, je parlais de vous avec mon garçon, au téléphone et il m'a demandé : « mais c'est qui Maria, elle est de chez nous ? »
Son -de chez nous- ça m'a fait chaud au cœur.
J'y ai dit que c'était une femme du village de l'ordinateur.
Mais c'est virtuel, Maman, qu'il a dit.
Virtuel, ça sonnait dans sa voix comme, et pardonnez-moi l'expression, Maria, connerie.

C'est égal, vous écrire, c'est très agréable et mieux, que de raconter mes histoires dans le vide.
Je vous souhaite une journée bien calme et reposante et je pars avec la voisine faire un tour dans la brocante du bourg. On va manger des andouillettes grillées avec des frites et tout ça se mettra sur nos hanches qui s'en fichent bien d'être alourdies.

Dites Wapiti, on peut pas récupérer le post précédent, celui qui faisait près de 20 pages et à la lecture duquel je me marrais bien (même s'il m'est arrivé parfois - mais heureusement rarement - d'avoir les yeux humides)
En effet, il n'y a pas beaucoup de pages sur ce petit nouveau, mais je trouve que Vovonne et Maria ont déjà pourri l'ambiance.

tcvoyageur a écrit:Dites Wapiti, on peut pas récupérer le post précédent, celui qui faisait près de 20 pages et à la lecture duquel je me marrais bien (même s'il m'est arrivé parfois - mais heureusement rarement - d'avoir les yeux humides)
En effet, il n'y a pas beaucoup de pages sur ce petit nouveau, mais je trouve que Vovonne et Maria ont déjà pourri l'ambiance.

Bin, Ms'ieur Tc... rien n'a disparu ! Regardez bien le contenu de la rubrique.

Quant à Vovonne et Maria... leur vie n'est pas toujours des plus faciles et des plus drôles et elles ne font qu'exprimer cela.
Elles auront sûrement des souvenirs ou anecdotes plus drôles à nous conter prochainement.

D'accord avec toi Wapiti, sans plomber complètement le récit, on peut leur demander juste un peu plus de gaieté...

Allez Vovonne et Maria ! tatsoum, tatsoum...

Oh oui alors Tatsoum! Tatsoum...

Les gosses c'est pas si terrible que ça quand même ? Non mais rassurez-moi... parce que là ça donne pas envie d'en faire... non mais chuis quand même pas aussi horrible que ça avec ma môman et mon pôpa... je leur ramène des litres de vin géorgien à chaque fois que je rentre... en violation de toutes les règles douanières qui n'autorisent qu'une bouteille par personne (même pas un litre)... je prends le risque de me faire épingler juste pour qu'ils puissent s'hydrater le gosier... si c'est pas de la piété filiale ça! Tu honoreras père et mère, dit, si je ne me trompe pas, le quatrième commandement! Violer la loi pour leur ramener du jaja, si c'est pas les honorer, qu'est-ce que c'est ?

Hello everybody,

Je ne sais pas si je suis au bon endroit de votre forum bien sympathique mais ce qu'il y a de sûr c'est que je connais la Vovonne qui a écrit des kilomètres de lignes.

J'explique : cette nuit, incapable de dormir dans mon hôtel bruyant, j'ai sorti mon pc qui ne me quitte pas dans mes déplacements et j'ai surfé dès que j'ai réussi à attraper le wifi du coin non sécurisé.

Je suis arrivé par hasard sur le forum et j'ai lu le sujet Vovonne.
Je me suis dit : « je connais cette femme »

J'ai fouillé dans mes archives. Faut que je vous dise aussi que quand mes clients sont casés dans leur hôtel, s'ils m'ont fait passer une bonne journée, et, une bonne journée est une journée sans pépin et sans emmerdement qui est plus grave, j'écris quelques trucs sur eux pour m'en rappeler.

Quand j'ai lu que Vovonne parlait à je ne sais plus quelle page d'Arles, j'ai retrouvé.

Mon prénom, c'est Victor et j'insiste toujours pour qu'on utilise mon prénom dans mon car.
Je suis conducteur de car et je déteste qu'on dise chauffeur.
Voilà ce que j'avais écrit l'année dernière

 


En ce samedi 26 juin, je reçois ma feuille de route dont j’ai déjà étudié les détails.

L’organisateur, c’est Daniel, un type très agréable aux sourcils charbonneux. Il souhaite emmener un groupe de 37 adultes et 9 enfants de l'association sportive d'un bourg actif de mon département. Il a préparé avec beaucoup de minutie un voyage en Camargue avec des arrêts clefs. Ca tombe bien, je connais pas mal de lieux.

Daniel est un organisateur un peu inquiet tant il veut voir les gens heureux.

Y’aura pas de problèmes, parce que, ces gens, sont vraiment sympa. Leur association a l’air de bien tourner et entre eux, il ya beaucoup de rires et de cordialité.

Je charge les bagages et les glacières. Qu’est-ce-qu’ils vont se mettre ! Prévoyants en victuailles et pinards ces messieurs-dames.

Les enfants sont de bons gamins, pas des malpolis qui collent le chewing gum sous les sièges.

Moi, ça me change des sorties troisième âge où me colle mon patron parce que je suis parait-il prévenant et je suis d’excellente humeur.

Y’a même un chien.


7h 30, nous voilà partis. Daniel s’est passé et repassé la main dans les cheveux, pas si facile de faire monter la troupe. Je m’arrête pour récupérer encore quatre personnes. Il compte, recompte et rerecompte. C’est tout bon.

 Je roule, il fait un ciel si bleu que c’est bonheur après ces temps de grisaille.

Mon car est superbe. Je n’ai pas de belle-mère aux fesses. Une belle-mère c’est la remorque que j’accroche quand il y a beaucoup de bagages. C’est comme ça qu’on l’appelle dans notre corporation.

Les gens ont déjà débouché un bon vin. Ca cause d'aquagym et de foot, tant mieux, j’aime ça. Le foot pas l'aquagym.

Petite pause avant Montélimar, y’a foule sur la route.

Faut bien se dégourdir les jambes et boire le café.
Une dame qui s'appelle Vovonne qui a l'air populaire rate la dernière marche du marche-pied et j'appréhende la première galère. Elle se relève d'un bond et pour une presque vieille elle a du tonus et du rire.

 Après, c’est sérieux. Je me gare au Mas des Tourelles déjà grillé de soleil.

On entend les cigales, les lauriers blancs et roses explosent. Y’a une glycine au tronc bicentenaire.

Tout le monde visite cette cave gallo romaine où l’on fait une fois par an du vin romain.

Hop, une dégustation. Pas moi, quand j’ai charge d’âmes, je ne bois pas, c’est une règle.


 Arrêt pique-nique. Et quel pique-nique ! Ils ontont rivalisé d’idées. Je mange peu mais je me suis régalé avec ce qui m’était offert. La Vovonne de toute à l'heure a carrément apporté une jatte de rillettes fameuses.

Quand on a fait autant bombance, c’est, sous un implacable soleil, une petite épreuve de grimper jusqu’à l’Abbaye troglodytique de Saint-Roman. J’ai déjà visité l’année dernière avec un autre groupe et je suis resté à l’ombre du car. En haut, ils avaient soif les gens.

Ils ont tout bien écouté ce qu’à dit le guide, qui n’était pas toujours bien aimable. Faut dire que quand les gens ne sont pas parfaitement attentifs, les guides, ça leur fout les nerfs.

Ils sont incollables sur le triops cancriformis. Non ? J’en étais sûr, y’en a pas dix qui ont lu le dépliant que Daniel a distribué et que j'ai eu le temps de lire. Ben c’est pas moi qui vais expliquer que ces petites bêtes fossilisées sont des détritivores. Je suis conducteur de bus ( pas chauffeur), et encore moins spécialiste des insectes apparus au Permien. Ils n'avaient qu’à lire.

J’emmène ma troupe à la résidence hôtelière de Maeva.

Repos pour moi, c’est l’étape du soir.
Après tant d'heures de route ça fait du bien.
Un joli cadre, chambres impeccables et plein de piscines pour les amateurs.
Ca, c’était bien goupillé faut le dire.

J’ai participé à leur soirée pleine de rires et de gentillesse. Y’avait une dame, Nicole, dont c’était l’anniversaire. Ils lui ont fêté avec gâteaux et champagne. C'était une surprise.

La panse bien pleine d’un délicieux repas à m'en faire éclater la sous-ventrière, je suis allé dormir.

Nous n’avons pas eu beaucoup de moustiques. C’est pile ou face en Camargue en fonction des années. C’était une bonne année.

 Nous voilà Dimanche.

Tous, à l’heure au rendez-vous matinal. Les gamins sont en pleine forme, les adultes aussi.

 Et Victor, il est où ? Il est là, il est là, répondent en chœur tous les gens. Parce que Victor, c'est aussi un petit garçon qui disparait comme un petit lutin, parait même qu’il va aller les voir.

En route pour l’Abbaye de Montmajour. Je connaissais aussi. J’en ai profité pour aller chercher des clopes, des fruits et le journal pour les gens. J’aime bien rendre service.

C’est comme ça que je fais bien mon métier.

 Je vais pas raconter l’Abbaye , faut pas exagérer. Les gens ont beaucoup aimé.

Y’en a qui se sont couchés dans les tombes de la nécropole pour voir si les morts d’avant avaient la même taille que maintenant. En plus, ils sont veinards, on leur a ouvert une salle en rénovation qui est interdite de visites. Ils ont regardé des tas de symboles. Moi, c’est trucs là, ça me laisse froid . Ils ont même pris en photos des gribouillis.

Y’en a qui sont allés à la chapelle et deux dames, dont encore la Vovonne, ont chanté. Parait que ça rendait vachement bien parce qu’elles avaient une belle voix et que la résonnance était bonne.

 Après, j’ai garé mon car sur un parking à la sortie de Fontvieille.

Ca a l’air de rien, comme ça, mais allez garer un car de la taille du mien à l’ombre des quelques arbres. Une sacrée paire de manche, je vous le dis.

C’est vers le moulin d’Alphonse Daudet qui est pas son moulin et qu’on dit que c’est son moulin. Ca fait venir les touristes.

On a pique-niqué, y’avait pas mal de chardons et de chaleur, alors ils ont décidé d’aller sous les platanes du village, boire des cafés qu’un type super gentil qui s’appelle Hubert a offert. C’est rare de voir des ambiances comme ça dans mon métier.

Y’en a qui sont allés en ville acheter des céramiques, des cigales qu’on accroche à la porte d’entrée. Des dessous de plat avec écrit souvenir de Camargues. La Vovonne elle a acheté un pot à olives souvenir de Camargue, et si je m'en rappelle, c'est qu'elle l'a cassé en le casant dans le porte-bagage et son mari a levé les yeux au ciel.

Avant de rentrer, ils se sont gavés de cerises, un plein plateau, que l'un d'eux avait apporté.

 Et voilà, c’était bien.

J’ai roulé tout tranquillement sur l’autoroute. Ils ont regardé les photos qu’avait fait Jacques, celui qui est docteur, j'ai cru comprendre.
On est arrivé un peu avant l’heure prévue. Les gens étaient contents d’arriver tôt, comme ceux qui voulaient voir la fin du match..

Daniel, l’organisateur, était plein de sourires. Sa mission s’achevait superbement et la mienne aussi d’ailleurs.

 J’ai klaxonné un grand coup en sortant du parking. Je me sentais heureux.

 Durant tout le week-end, je n'ai posé aucune question parce que la discrétion, c’est encore une autre règle dans mon métier.
Ils m'ont fait une cagnotte et c'est Vovonne qui m'a remis l'enveloppe avec le reste des rillettes.

J’espère bien les revoir une autre fois parce que, pour sûr, c’était de chouettes gens et un week-end formidable.



C'est fait, j'ai transmis ce que je savais sur cette dame de ce forum.
Bonne continuation.

 


 

 

 

Il y avait bien longtemps que je n'avais pas repris le fil de mes idées et la bobine s'embrouille vite.
Je n'ose m'adresser à vous Maria car votre absence est presque inquiétante.
De deux choses l'une, soit l'odeur d'un coffre en sapin vous remplit les narines soit vous êtes apeurée et vexée par les remarques des gens qui disent que nos conversations ne sont pas amusantes.

Laissez parler. On sait bien que les jeunes n'aiment pas beaucoup les bavardages des vieux et qu'importe.
Moi j'aime pas leur musique qui fait du bruit, les clous dans leur nez et même dans la langue, si, si, j'ai déjà vu des jeunes filles qui font un petit bruit énervant avec le clou d'argent qui tinte sur les dents et c'est aussi désagréable que le dentier qui claque continuellement.
J'aime pas tous leurs vêtements surtout ce qu'on appelle -string-, cette ficelle mal placée et les maillots des hommes, sans manche, que c'était des maillots de corps pour travailler au soleil ou pour mettre sous la chemise et j'aime pas aussi quand ils disent meuf-teuf et tous ces mots saccagés.

C'est pour dire hein, on est pas pareil.

Alors Maria, rien n'empêche d'écrire vos histoires.
Les gens choisissent l'autoroute pour aller en ville ou prennent les départementales bordées d'ombres. Personne n'oblige personne vous croyez pas ?
J'ai lu le mot -plombé-, c'est ridicule je trouve. Une conversation plombée, ça n'existe pas.
Y'a que le sanglier qu'on plombe ou une dent gâtée.

Je ne reste pas plus sur mon ordinateur, je vais au bourg avec la voisine qui va chercher des clous de cercueil. Au rythme où elle fume, il sera vite fermé le sien.

 

Je n'ai jamais été attirée par les biographies, mais j'ai toujours aimé écouter certaines personnes âgées parler de leurs experiences. Elles ont souvent une verbe riche et fluide, et elles arrivent facilement à capter mon attention.
Je ne sais pas quelle âge avez-vous, quoiqu'il en soit vous avez du talent pour vous exprimer !

Merci Vovonne d'être venue posé un petit mot par ici. Cela m'a permis de découvrir Victor et son histoire, que j'avais précédemment manqués de lire.

Et donc, merci Victor pour ce petit récit qui nous en dit un peu plus long sur Vovonne, notamment quand elle voyage avec tous les tamalous, bobolas et plus jeunes de son village.

Je suis comme vous, Vovonne, je m'inquiète un peu du silence de Maria... Mais imaginons que ce n'est que parce que ce beau printemps la retient dehors à papoter avec ses voisines plutôt que confier ses états d'âme à quelque oreille reliée au clavier, confinée dans sa chambre...

Depuis quelques jours je suis équeutée et j'ai pas souvenir de tant de chaud dans notre région.
On dit que c'est l'une des plus vertes de notre pays et quand j'étais petite et me plaignais des jours de pluie continuels, grand-père disait : « tais-toi, il tombe des billets de 1000 sur nos avoines ».

L'avoine, le blé, tout est rabougri et les vaches broutent patiemment des touffes desséchées et rares. Willy est inquiet, s'il lui faut acheter de la paille, ç'est fichu pour son budget.
Mes fleurs font elles aussi grise mine, l'arrosoir du soir ne suffit plus.

Hier soir, l'église était comble. On était au frais.
C'était un concert vocal.
Le nom, c'était Laostic. Laostic, ça veut dire rossignol en breton.
Ils ont chanté huit cents ans de musique, de Charlemagne à LouisXIII, c'était des chants du moyen-âge et de la renaissance.

Un choeur de femmes et d'hommes, c'était de la magie.

Je suis rentrée tard et j'ai gardé le programme pour l'écrire dans mon ordinateur.
Mais c'est trop long à recopier.
Je recopie que le titre du premier chant. « Gloria Laus ».
Parce que mes yeux m'ont pris par surprise et ont goutté sur le programme. Les picots ont rempli mes bras de chair de poule.
Mes oreilles étaient tendues et pointées vers la pureté des voix de femmes et tout d'un coup, derrière nous, les voix d'hommes ont rempli la voûte de notre petite église.
Les hommes ont rejoint le chœur de femmes par les allées latérales et la musique tremblait dans mon ventre.
A la fin, pour le dernier chant qui s'appelle « voyci le verd », j'ai fermé les yeux de bonheur et j'ai laissé coulé les voix sur ma peau.
Nous avons tous tellement applaudi que mes paumes étaient endolories. Le chef de chœur qui s'appelle François Tainturier, c'est quelqu'un de par chez nous et il a rendu hommage au monde des paysans et il a dit que la culture et la musique ne doit pas s'arrêter dans les villes et qu'il était heureux de voir qu'il avait raison car nous avions rempli l'église de nos présences.

Et c'est vrai, quand on entend les parisiens qui disent que les péquenauds sont étroits d'esprit, juste bon à faire des fêtes à l'andouillette, c'est horripilant. La preuve était là hier soir.

En rentrant, l'orage grondait au loin et nous n'avons eu qu'un petit guéreau juste bon à mouiller les salades.

J'étais si chamboulée que j'ai oublié mon coussin. Les bancs de l'église très durs et, sans coussin, j'ai les os des hanches qui s'émiettent.
Je vais le chercher maintenant et pis passer à la ferme du château confectionner des fleurs en papier pour le char. On avance mais il y a encore des centaines de fleurs à fabriquer.
Félix a rendez-vous avec Albert, celui qui possède la batteuse d'antan, ils vont voir quelle parcelle de blé ils pourront utiliser pour la faire fonctionner lors de la fête d'été.

Les nuages s'entrechoquent et je file avant qu'il ne cheuille pour de bon.

C'est bien le bruit de la pluie qui floque sur le perron.

La radio bourdonne sur le buffet et j'écoute distraitement parce que c'est l'heure des petites annonces locales. La radio, c'est mieux que la télévision parce que j'aime pas beaucoup qu'on m'oblige à regarder des images.
Je vais écouter mercredi prochain une autre radio que celle de mon pays, pour le plaisir d'entendre la voix de quelqu'un du village d'ici. C'est une radio colmarienne j'ai vu. Colmar, c'est en Alsace ou le vin est presque aussi bon qu'ici.
En ce moment l'information va à toute vitesse, même pas le temps d'une respiration et c'est un autre sujet. Raz de marée, centrale nucléaire, vite, Ben Laden, vite, le volcan qui crache, vite, le Bistou gate, vite, le concombre évacuateur, vite, le soja, vite.
Comme ça, les gens, ils ont bien peur tout le temps et ils restent sages et le gouvernement et les partis politiques, ils peuvent bien traficoter dans notre dos.

Dans mon village, les hollandais qui viennent pour les jours fériés, ils ont pas acheté des concombres, des tomates, des fraises, de la salade. D'ailleurs, la plupart du temps, ils viennent avec leurs boîtes de conserve et leur biscottes.
Notre épicière, elle est furieuse de voir ses légumes et ses fruits se flétrir et elle a fait exprès de tout laisser dans les cageots. Pour faire honte aux gens qui ont peur d’attraper la courante.

Et aujourd'hui, les journalistes qui sont plus des journalistes mais juste des gens qui savent bien recopier internet, me tanne avec l'homme à la braguette endiablée. C'est reparti pour peut-être deux jours parce que quand ça parle du sexe, ca fait vendre.

La voisine, elle écoute l'information pas comme moi, elle cherche à qui ça profite l'histoire du concombre. Elle dit qu'il y a un laboratoire célèbre, Pfaillezer qu'il s'appelle, aux Amériques qui a le monopole exclusif d'un vaccin contre l'écolie que je sais pas l'orthographe et que dans quelques jours, tous les éleveurs auront l'obligation en Europe de vacciner leurs animaux. On va voir si elle a raison.
Elle dit que c'est pareil qu'avec le tamiflu de la grippe, que c'est un médicament d'un laboratoire américain et que celui qui était actionnaire principal du laboratoire c'était Romsfeld, le copain de Bouche.

En fait, je crois bien que je m'en fiche de tout ça et j'ai à faire.
Félix a cueilli quarante kilos de cerises aigres. J'ai crachoté des dizaines de minuscules noyaux pour le plaisir du léger frisson de la chair acidulée du fruit et m'en vais maintenant préparé du guignolet.

Vovonne a écrit: D'ailleurs, la plupart du temps, ils viennent avec leurs boîtes de conserve et leur biscottes.

Je ne savais pas que Lahaut était Haut-Landais

Je me suis déjà posé la question si c’était lui derrière le pseudo de Voyonne.
Il n’aime pas lire, mais qu’est-ce qu’il a de l’imagination pour écrire !

Je me suis déjà posé la question si c’était lui derrière le pseudo de Voyonne.
Il n’aime pas lire, mais qu’est-ce qu’il a de l’imagination pour écrire langue!

En integrale les Vovonne tu liras
Ainsi le mystere tu perceras.

L'est marrant Perfoura !
Flores, (tiens, on dit Flor ou Floresse), c'est pas très important qui écrit, l'important c'est si ça plaît ou si ça saoule non ?

Je suis très inquiète.
Les touches F,V,B de mon ordinateur se bloquent un peu.
Je me demande si avec la pointe de mon opinel, je peux les soulever pour enlever les miettes.

Je sais que c'est de ma faute, j'aurais pas dû manger en écrivant, mais c'est trop tard et d'ailleurs, j'ai fini de me régaler.
J'ai eu envie, tout d'un coup, d'une tartine de pain grillé tiède avec une grosse couche de Brillat-Savarin mon dieu des fromages. Fruité, odorant, onctueux et ferme, c'est tellement bon.
Alors, je tapais d'un doigt de la main gauche et de l'autre je croquais dans ma tartine croustillante.

Je suis obligée de forcer deux fois sur le F de ferme, ça fonctionne quand même. Pas très bien.

Cette envie brutale de pain grillé, c'est comme une envie de femme enceinte. Sauf que j'ai jamais eu d'envies alimentaires quand j'attendais mes garçons.
Envie de dormir, ça oui et avec le travail à la ferme, fallait pas y compter. Envie de vomir, ça oui aussi, surtout avec l'odeur du café le matin, j'avais plus qu'à courir sur l'évier.
Attendre mes garçons, c'était, je sais pas, une attente très longue. Je savais pas si c'était une fille ou un garçon alors je tricotais la layette avec des pelotes jaunes. Le soir, mes chevilles enflées qu'on voyait plus la différence avec les jambes, posées sur un petit tabouret devant le feu, je tricotais et Félix fumait sa pipe. Scritchhhh des bûches, cliccc des aiguilles, fuuuuu du souffle exhalé de Félix.
C'est tout.

Je dormais mal, parce que je savais pas dormir sur le dos. Je copiais la démarche des canards du poulailler et, une main sur les reins, l'autre tenant le panier d’œufs, je désespérais de voir la fin de ces neuf mois.
Félix écoutait parfois l'enfant dans mon ventre mais le plus souvent, il disait que c'était les affaires des femmes ces histoires.
Etre comme une meule, c'est pas ça qui me gênait, ni d'avoir les seins comme des gants de toilette après l'allaitement, ni les lignes bleues sinueuses sur les jambes, les bas de coton noir étaient bien pratiques. Non, je me souciais de l'enfant à venir. Etait-il normal, avec tous ses doigts. J'avais peur qu'il ait un bec de lièvre comme le petit Charles de mon école.
On ne nous faisait pas des radios du ventre. Le médecin prenait une sorte d'entonnoir et appuyait l'oreille pour écouter le cœur. C'était déjà ça.

Ce que j'aimais plus que tout et quand j'y repense, j'en suis encore nostalgique, c'étaient les premières vaguelettes de l'enfant qui frémissait dans mon ventre. La première fois, je fauchais la luzerne et j'ai arrêté d'un coup.
Une chaleur de bonheur s'est répandue dans tout mon corps.
J'ai passé la soirée distraite et songeuse.
Il bouge, il vit.

Je vois que je me suis égarée bien loin de mes miettes de pain grillé. Ranimé le souvenir de cette attente est aussi délicieux que ma tartine.
C'est pour ça.

C'est décidé, je vais mettre mon ordinateur la tête en bas, le secouer, et si les touches coincent encore, je me lance dans la réparation avec l'opinel. Après tout, c'est comme une machine à écrire sans ruban.

Bonjour Madame Vovonne,

Merci tout d'abord de vous soucier de moi ; je n'ai guère d'autres excuses que ma fatigue et le temps qui passe si vite à vous proposer.

Je vous l'accorde, mes propos manquent un peu de gaieté mais mon univers est très restreint il est parfois difficile d'y trouver même un semblant de sourire.

Après une intervention médicale et quinze jours dans une maison de repos me revoici chez moi, dans mes meubles mais plus dans mes murs, et à nouveau j'ai quelqu'un qui peut écrire pour moi.

Comme je vous sens curieuse et intéressée je vous raconte le dernier événement qui a fait papoter toute la maison de retraite.

Figurez-vous qu'un couple s'est formé au grand dam de la directrice ! Elle est furieuse, ça ne fait pas bien dans son établissement et nous ça nous fait plutôt un air de jeunesse !
Au milieu des fauteuils et des déambulateurs qui embouteillent l'entrée de la salle à manger tous les midis, eux avancent main dans la main avec encore une bonne allure, juste besoin d'une canne pour deux. Il la guide tendrement vers leur table, elle lui sourit amoureusement, ils s'observent à travers leur cataractes et nouent leurs mains fripées.. peu importe si ils 'aiment ! Tous les regards sont tournés vers eux ; on leur envie une table à deux, nous qui sommes 8, on leur envie leurs papotages discrets, nous qui sommes obligés de crier pour s'entendre, on leur envie leurs regards complices, nous qui sommes devenus transparents et surtout on les envie d'être deux nous qui subissons la solitude depuis si longtemps...
Mon aide-ménagère m'a même dit qu'on les a trouvé dans le même lit ! Scandale dans la maison !
Et voilà un peu de remue-ménage dans les étages, des commérages dans les couloirs et les mauvaises langues qui vont bon-train.
Que voulez-vous Mme Vovonne, puisque rien d'autre ne nous touche que notre petit monde bien fermé... vous voulez que vous parle de la sécheresse, bof ! On en a connu d'autres... vous voulez que je vous parle de DSK, bof ! On a eu Félix Faure...

Je suis seule en ce moment, peu de visites et je ne m'en plains pas, je me repose.

Bien à vous

Maria

On me dit que vous venez juste d'écrire, merci pour le plaisir que je vais avoir à vous lire