Escapade Capverdienne

Je commence à écrire ce carnet de Mindelo.
21h30, heure capverdienne, d'une journée qui a débuté à 3h30, heure française... une journée de voyage de 21 heures. Pourtant, le Cap Vert, c'est en face du Sénégal, juste du moyen-courrier !
Heureusement que j'avais pris une nuit d'hôtel sur la plateforme aéroportuaire pour "gratter" quelques heures de sommeil. Être à l'aéroport à H-2, c'est bien gentil, mais quand il est vide de nuit, il ne faut pas 10 minutes pour rejoindre la salle d'embarquement... pas qu'un peu l'impression qu'on me fait perdre mon temps de sommeil pour rien, moi !

2h30 de vol plus tard - Ha, tiens, il y a déjà moins 1 heure de décalage horaire ?! - Lisbonn.
Transit aussi fluide qu'à Lyon, en moins de 15 minutes je suis allongée en salle d'embarquement : j'ai un dos à soulager, déjà.
Et heureusement que je l'ai bien soulagé avec l'heure d'horizontale et l'heure de marche active en va-et-vient, parce que notre avion à destination du Cap-Vert a pris plus de 2 heures pour décoller, nous à bord... Un ordinateur en panne, apparemment. Les 4h30 de vol prévues se sont donc transformées en 7 heures d'assise inconfortable... Mais ce n'est pas grave, je suis restée zen et avec la banane : je pars en voyage !

Je suis partie ! Je suis en voyage ! Je vais au soleil pour randonner et goûter de l'Atlantique africain ! Je jubile.
Que cela fait du bien ! Et finalement, qu'est-ce que ça m'a manqué en 4 ans de sédentarité française !

La chaleur, 26°, et le vent nous cueillent dès l'ouverture des portes de l'avion. Descente sur le tarmac brûlant pour rejoindre à pieds l'aérogare. J'aime ce genre de petit aéroport posé comme un confetti au milieu du désert sableux, rocheux et maritime. Et ici, à Saõ Vicente, le confetti est lui-même posé sur un confetti de terre brute, cuite, sèche, au milieu de l'océan.

Formalités rapides (merci aux bons plans de l'agence), guide et groupe vite trouvés, opérations de change express... bref, c'est fluide, c'est top ! Quand je repense à nos débuts mauritaniens avec Wap'frérot, il n'y a pas loin de 20 ans maintenant...
Quelques minutes de minibus à travers roches arides et ville où bidonvilles et centre coloré se succèdent, et nous voici devant le plus bel hôtel du coin. Franchement, sur ce circuit, l'agence nous gâte ! Je n'ai même pas eu besoin de mettre mon sac de couchage et mon linge de toilette dans le sac à dos, beaucoup trop grand pour l'indispensable, et que je suis donc arrivée à combler de superflu... comme mon tapis de fakir qui sera le bienvenu pour soulager mon dos au cours de cette courte semaine.

Dépose express des bagages en chambre et enfilage tout aussi express du maillot de bain et des sandales pour rejoindre la plage de sable de Laginha balayée de grosses vagues d'un bleu innommable et d'un vent qui nous offre de belles bourrasques de peeling. Je ne quitte pas le t-shirt faute d'avoir oublié la crème solaire mais je m'offre un aller-retour pieds nus dans le sable humide balayé de vagues puissantes. C'est bon !
Je n'ai pas fini de jubiler aujourd'hui on dirait.

De retour à l'hôtel, j'ai le temps d'une pause sur mon tapis de fakir avant le redémarrage pour aller diner dans une "table d'hôte" tenue par une famille qui ne cuisine que sur réservation. Ce soir, ce sont quatre groupes qui s'y retrouvent, tous fraichement descendus de l'avion. Nous sommes accueillis par une chanteuse qui reprend délicieusement Césaria Evora et de jolies bouteilles de rhums arrangés. A vot'santé ! Saoud !
Le repas de spécialités (g)astronomiques est juste délicieux.
Nous assurons la réputation de notre guide Tatiana avec une participation massive sur la "piste de danse", c'est-à-dire entre les tablées. Avant de vite capituler sous les assauts de la fatigue du voyage... et des rhums ptêt ben aussi.
La soirée est juste ternie par les nouvelles qui nous proviennent de France : Notre-Dame, qui a survécu à des siècles et deux guerres mondiales succombe. Mince alors !

Quand le réveil sonne à 6h30, j'ai déjà un quart d'heure de tapis de fakir tatoué dans le dos. Il faut reboucler les sacs et s'équiper pour une journée de randonnée.
Mais avant de marcher, embarquement sur un ferry pour une traversée vers l'île voisine, Santo Antaõ, qui parait aussi aride que celle-ci, et toute proche. Oui, mais comme en montagne, ce qui parait proche ne l'est pas forcément... Il a bien fallu une bonne heure d'embruns, de vent vivifiant, de mer calme qui a secoué les plus fragiles et de soleil d'Afrique pour rejoindre Porto Novo, qui porte bien son nom tant cette "ville" semble récemment sortie de terre.
Restée au grand air sur le pont supérieur, j'ai respiré à pleins poumons, contemplé les crêtes d'écumes des vagues et même pu apercevoir le vol d'un banc de poissons volants.

A Porto Novo, un minibus nous prend en charge pour une petite heure de route le long de la côte est de l'île, caillouteuse de basaltes, déchiquetée, définitivement aride. Mais qu'arrivent à brouter ces troupeaux de chèvres que nous voyons de-ci de-là ?!
Puis, peu à peu, la verdure réapparait et c'est dans la "luxuriante" vallée de Paül que nous nous enfilons entre bananiers, palmiers, cannes à sucre et autres cultures locales que nous ne nommons pas encore. Le ruban d'asphalte a laissé place à la route traditionnelle de pavés basaltiques qui grimpe à l'assaut des pics rocheux.


   

Vient le temps de troquer les roues contre nos godillots.
Nous nous enfilons dans une ruelle pavée entre les maisons traditionnelles en pierre et toit de paille de canne à sucre maintenue par des cordes de cizal, ces grandes herbes de la famille des agaves. Le sentier, par moment pavé, de terre brune ou de roche noire, serpente, en montées et en descentes, entre les cultures maraîchères (tomates, pois, choux), de canne à sucre, les arbustes et arbres fruitiers, caféiers (arabica) en fleurs, goyaviers, papayers, bananiers à divers stades fruitiers.
Les Capverdiens sont au champ, toujours prompts à nous saluer d'un "Bom dia !" ou d'un "Bonjour !" et de grands sourires.
Une botte de tiges de canne à sucre, c'est lourd ! Nous avons essayé de la soulever. Mais le groupe d'hommes de tous âges semble heureux de les transporter sur leurs épaules sur les sentes pentues de ces cultures en terrasse en un va-et-vient de bavardages, de rires et de chants sous le soleil dur de la mi-journée.
Plus loin, nous croisons le ruisseau et ses méandres d'irrigation dans lesquels baignent ignames et manioc. Un enfant aide son vieux père ou grand-père à ouvrir et fermer les barrages de pierres et terre pour inonder les petites parcelles en terrasse. Il est pieds nus sur la caillasse que nous percevons comme coupante et qui roule et glisse sous nos pieds.

Mon voyage à Madères est lointain déjà mais j'ai le sentiment de retrouver de ses paysages avec ces pics rocheux abrupts qui nous entourent et cette végétation de terres arides qui se mêle aux cultures. Tout semble à la fois vert, au milieu de la minéralité brute, et sec, asséché par deux années sans réelle pluie. Ce ne sont que les nuages, légers voiles qui s'accrochent aux sommets qui amènent l'humidité par condensation sur la roche volcanique, humidité qui s'infiltre pour former petites sources et petits ruisseaux alimentant l'oasis de cette vallée.

En haut d'une crête rocheuse qui s'avance dans la vallée, un toit de paille abrite notre déjeuner de plats traditionnels, dans une petite brise pas désagréable pour nous rafraîchir dans la chaleur ambiante. Cachupa (= chorba) de légumes secs, choux et carottes aux chorizos et éclats de porc et poulet, glace de lait concentré sucré. je regrette l'absence de fruits frais après avoir côtoyé tant de fruitiers sur le chemin.

       

Après environ quatre heures de montées et descentes, nous avons clos cette première journée de marche à 16 heures... malheureusement avec deux grosses chutes pour nos seniors les plus âgés et les moins aguerris. Un coude en vrac nous oblige à un détour par l'hôpital de la "grande ville" sur la côte, heureusement sur notre chemin.
Il ne faut pas long pour que notre chauffeur déverse les survivants dans l'hôtel flambant neuf et luxueux de Ponta do Sol. La chambre est immense, c'est moderne, impeccable de propreté et fonctionnalité, luxueux à mes yeux.

Nous dînons dans un restaurant à deux pas, des mêmes plats traditionnels que la veille et ce midi, mais agrémentés de cultures locales : manioc, igname et fruits de l'arbre à pain ont rejoint choux et carottes. La coupelle de fruits frais délicieux en dessert me ravit.

Il est à peine 21 heures, il fait nuit depuis deux heures déjà. L'océan fracasse ses vagues sur les falaises, jetée et plages locales, sous les fenêtres de ma chambre avec vue sur mer. Le coucher de soleil a été raté ce soir, la faute aux nuages qui ont progressivement envahi l'espace en fin d'après-midi. Demain peut-être ?...

Jour 3

Qui dit coucher tôtif dit réveil tôtif. Cela tombe bien, le soleil aussi est matinal. Et heureusement que les nuages qui emplissent encore le ciel l'empêchent de m'éclabousser dans mon lit dès 6h30.
Au petit-déjeuner, les nouvelles sont bonnes : plus de peur que de mal, nos blessés sont opérationnels pour marcher avec nous aujourd'hui.
Pour autant, nous commençons par un arrêt pharmacie à la "grande ville" de l'île, Ribeira Grande. Nous en profitons pour quelques courses et quelques déambulations dans ses ruelles pavées et son petit marché couvert où se vendent la pêche du jour et les récoltes locales de saison : oignons, courges gigantesques, carottes, ignames, manioc, patates douces, petits citrons verts, bananes...

   

Nous nous enfilons ensuite dans une vallée encaissée elle aussi verdoyante, Ribiera da Torre.
Le minibus nous laisse vite continuer à pieds la montée sur la "route" pavée qui se transforme en majestueux escalier qui serpente entre les cultures de canne à sucre et d'ignames, et le vide qui plonge vers la rivière. Cultures et végétation, maisons traditionnelles, levadas, canalisations d'irrigation, sont identiques à la veille. Le paysage est plus déchiqueté, le sentier plus ferme sous nos pieds, il nous semble la chaleur plus forte.

Nous atteignons à midi le village perché dans lequel une famille nous accueille à l'étage de sa maison et nous régale à nouveau de cultures locales : Cachupa de pois, chou, ignames, manioc, courges... poulet et flan aux oeufs à la cannelle, dessert typique local pour clore le festin.

Nous redescendons par le chemin de l'aller, et quand Tatiana me montre ce qui aurait dû être la grimpette de l'aller, j'ai un petit regret : un véritable escalier inca (= aux hautes marches) qui sillonnait au milieu des cultures en terrasse, beaucoup plus aérien que notre "route". Mais nous aurions sans aucun doute plus souffert physiquement et nos blessés auraient dû rester à quai. Le choix, collectif, a été le bon.

Durant la descente, nous nous amusons à observer les familles qui remontent de leurs courses en ville en constatant qu'ici c'est comme ailleurs en Afrique : les femmes accompagnées d'enfants portent sur leurs tête et dos de lourdes charges (un matelas ! des planches !...) alors que les hommes accompagnent tranquillement des ânes bâtés de sacs de riz ou de ciment.

   

Il n'est que 15h30 lorsque nous sommes de retour à l'hôtel sur la côte. Une rapide douche et je repars seule, sous le soleil qui résiste, à la découverte de ce village de pêcheurs qui vit de plus en plus du tourisme. Notre hôtel moderne détonne un peu au milieu de cette architecture coloniale colorée, parfois en voie de décrépitude. La place centrale avec sa petite église typique et sa mairie démesurée et clinquante de jaune est bien agréable. J'arpente quelques ruelles désertes à cette heure et me retrouve naturellement en bord de mer où le fracas des flots m'attire irrésistiblement.
Dans le petit port dorment des barques colorées, dont on se demande comment les pêcheurs peuvent affronter l'océan dans d'aussi frêles navires. Je grimpe sur la jetée pour basculer sur le tarmac de l'ancien aéroport, désaffecté, qui offre de beaux rochers pour s'asseoir face à l'océan et ses rouleaux puissants, bruyants où bleu sombre, turquoise et blanc mousseux se mêlent. je reste hypnotisée plusieurs dizaines de minutes, là, sur ce caillou, fouettée par les rafales de vent d'est.


 


Je retrouve ensuite le groupe pour une virée apéritive dans un des bars du front de mer. Nous goûtons à nouveau du grogue, rhum local, arrangé en punch coco ou punch mélasse. A jeun, sans grignotage, il me "secoue" un peu mais cette heure face au soleil se couchant entre deux couettes nuageuses est bien sympathique.

Tatiana, prenant le parti de "faire marcher" un maximum de commerces locaux, nous conduit ce soir dans un autre restaurant, tenu par une Française, expatriée depuis long sur cette île, qui se fend d'un accueil chaleureux très capverdien et nous régale d'une véritable gastronomie, dans la présentation des assiettes et la finesse culinaire, capverdienne à la française.

Il est n'est pas plus tard que la veille au retour à l'hôtel et force est de constater que je ne peux résister aux appels de Morphée.

Jour 4

Il est aussi tôt que la veille. Je suis bien réveillée, et ce matin éclaboussée du soleil qui tire son épingle du jeu entre les franges cotonneuses qui habitent les horizons océaniques.

Ce matin nous rebouclons les sacs et nous partons à pieds de l'hôtel en direction de l'ouest, sur le sentier côtier, jolie route pavée où deux véhicules se croisent difficilement. Nous avons opté pour l'option "light" de marche pour que nos seniors blessés puissent nous suivre.
La route grimpe et dégringole à flanc de falaises au pied desquelles se fracassent les rouleaux océaniques. Le ciel est couvert, le vent incessant et ce n'est pas pour nous déplaire, nous évitant la grosse chaleur redoutée. Chèvres et cabris, porc isolé ou porcherie de pierres et tôles, aigrettes, petits faucons, jolis coqs colorés, moustachus bavards et quémandeurs, la faune rencontrée est tranquille.
D'un premier col nous basculons vers le village coloré de Fonteinhas, au creux d'un repli de roches. Au milieu coule un ruisseau qui crée une tranche verte de cultures dans cette minéralité verticale brune et noire.

Les sept neuvièmes du groupe repartent à l'assaut du col suivant, qui sera notre point culminant avec sa dentelle de roche et, au loin, la perspective du village suivant, encore plus isolé puisque les véhicules ne peuvent continuer au-delà de Fonteinhas de ce côté, et de Cruzinha da Garça de l'autre, à quatre heures de marche au moins à notre rythme (lent).

Nous redescendons sur Fonteinhas pour pique-niquer d'une salade de pâtes à la capverdienne qui me réconcilie avec ce type de plat et au bout de laquelle il est difficile d'arriver.

Nous ne sommes plus que trois à opter pour un 'rab' de marche en reprenant à pied le chemin de notre point d'origine, sous le soleil revenu. Les autres vivent un transfert en minibus éprouvant pour les sujets aux vertiges. Pour notre part, en rythme plus soutenu mais non forcé, et en bavardages maternels, nous n'avons pas vu passer le temps sur ce retour pédestre.


porcherie capverdienne