Quand il fait chaud, il y a trop de monde au jardin du Luxembourg. C'est la course aux chaises, fauteuils, et chaises-longues métalliques. Les "tout pour ma gueule" n'hésitent pas à prendre un fauteuil afin d'y mettre leurs pieds, alors que beaucoup de promeneurs cherchent quelque chose pour se reposer.
Je prends une allée, je tombe sur une scène intéressante : un homme et une femme, sur leurs chaises longues, ont installé devant eux une chaise et un fauteuil pour y déposer leurs affaires, et leurs pieds sans doute. Devant le fauteuil où il y a une serviette en cuir, face à l'homme, cheveux et barbe blancs, mais relativement jeune, genre professeur d'université, il y a un homme en veston d'été, les mains posées sur le fauteuil, qui, visiblement, a demandé poliment l'autorisation d'en disposer. Mais la femme - je suppose - du barbu met la main sur le fauteuil et refuse que le gars au veston s'en empare. Relativement jeune aussi, un visage exotique - Mauricienne ? -, elle semble irritée. Il n'est pas question que vous le preniez, crie-t-elle, allez voir ailleurs ! Enfin, c'est pas possible, y en a pas, je vous demande pas la lune, et puis ce fauteuil ne vous appartient pas, nom mais des fois ! Non, non et non ! crie la femme.
Je me suis arrêté, curieux de voir la suite. A côté, sur un banc, trois dames regardent la scène, et celle qui est le plus près dit tout haut à l'homme au veston qu'il a entièrement raison. Ce dernier lance aussi sec : voyez, vous avez tout le monde contre vous. ! Je vois sur le visage du barbu qu'il a envi de céder, qu'il trouve que cette histoire est ridicule. La plus virulente reste la jeune femme, il y a même de la haine sur son visage, c'est vraiment bizarre, du coup, son compagnon s'agrippe un peu plus au fauteuil, il est entraîné par le déchaînement de cette femme, eh quoi ! faut qu'il montre devant elle qu'il se dégonfle pas !
Bon, pas que ça à faire, je m'éloigne, mais au bout d'une vingtaine de mètres je me retourne tant les cris de la femme deviennent hystériques ! Ouh là ! Cette fois-ci l'homme au veston tire le fauteuil, l'autre résiste, à toi à moi à toi à moi et c'est l'homme au veston qui gagne ! Et la femme qui crie ! L'homme au veston s'en va avec son fauteuil.
Après avoir lu un peu plus loin, je repasse par l'allée où l'homme a mis son fauteuil hautement gagné sur ce couple égoïste et sans gêne. Trente mètres plus loin, je vois le couple. Elle, tranquille, lit un bouquin. Lui, jambes croisées, les mains derrière sa nuque, semble ruminer, ressasser encore sa défaite, son humiliation, dame ! il a perdu la face devant sa compagne qui l'avait poussé à résister !
Moi, à sa place, je lui ferais manger les pages de son livre, une par une, sans oublier la couverture !