La gare maritime pour la Finlande, la première nuit à bord...
...En attendant d'embarquer, sur une immense terrasse les passagers lézardaient sous le soleil, accrochés à leurs bocks de bière.
Un type habillé en marin se pointa, suivi d'une bande de joyeux drilles aux masques de pirates. Il est Tunisien, il vit en Suède et ses amis l'accompagnaient pour fêter avec lui son prochain mariage. Mais non, il ne va pas épouser une Suédoise. C'est le fils d'un homme riche, alors en bon fils respectueux de sa culture il va épouser une jeune femme de Doha, une Qatarie - je me demande si ce n'est pas son père qui l'a choisie. Je lui demandai pourquoi ses amis suédois s'affichaient avec ces masques, il m'avoua qu'il n'en savait rien.

En tout cas, la jeune femme derrière lui était bien jolie. Lorsque nous embarquâmes pour la Finlande, elle passa devant moi, un petit salut, et quelques effluves alcoolisées qui durèrent quelques secondes, puis je ne la revis plus sur le ferry. Peut être un millier de passagers.
Je fus surpris par l’absence totale de contrôle, pas de portail électronique, rien.
Notre accompagnatrice commit une bourde qui occasionna une vague de mécontentement, voire de noire colère, parmi les membres de notre groupe. En effet, elle se mélangea les pinceaux sur l'horaire de l'arrivée en Finlande : la Finlande et la Suède n'ont pas la même heure !
Pour ma part, tout grain de sable qui perturbe le bon fonctionnement d'une organisation, quelle qu'elle soit, me comble de joie et m'incite diaboliquement à mettre de l'huile sur le feu. D'ailleurs, elle en prit plein la gueule dans la gare maritime en Finlande. Mais, pour relativiser les colères superficielles de ces révoltés en aquarium, je tiens à préciser que j'eus une discussion avec elle, de bon matin sur le bateau, sur le dernier pont promenade où il y avait des tables et des chaises coté bastingage.
Vous savez, me dit-elle, tous ces gens qui râlent, qui jurent de ne plus voyager avec notre agence, ce sont les premiers à repartir avec nous. Vous, vous ne pouvez pas vous en rendre compte, la plupart des gens sont des habitués et il y en a déjà qui ont réservé pour des prochains voyages.
Je confirme. Je me souviens de cette passagère, sur le retour en France, avant de reprendre le car après un arrêt-toilettes je ne sais trop où tellement ces stations autoroutières sont normalisées, uniformisées, cette passagère, donc, me demanda ce que j'allais faire après cette virée scandinave. Cette question me surprit, je pensai "ah bon on est obligé de faire quelque chose après ?" Je ne pus que répondre : rien ! Alors, bien satisfaite, elle m'indiqua qu'elle partait avec l'agence au Portugal dans deux semaines. Oh bon dieu ! En une fraction de seconde je vis toutes ces heures lancinantes en car pour traverser la France, l'Espagne... Ah, très bien, bon voyage, dis-je mentalement épuisé par cette volonté inébranlable de faire du car...
Au fait, pratiquons la psychologie de comptoir du commerce, peut être que, inconsciemment, y a-il ce besoin chez ces dames de se retrouver dans un cocon, et de se protéger du monde que l'on voit derrière les vitres, d'être dans l'entre-soi ? Pourquoi "chez ces dames" ? Parce que, je le répète, il y avait une majorité de femmes dans le groupe, la plupart âgées de plus de cinquante ans, veuves ou divorcées, ou alors elles sont avec un monsieur devenu ventripotent et amateur de canapé-bière-télévision, toutes ces femmes sont revenus des hommes et ne veulent plus s'embêter, trouvant sans doute leur confort dans le refus de l'altérité forcément conflictuelle.
Mais je ne les ai pas vues que dans ce car, à Paris on les croise souvent avec "L'officiel des spectacles" dans les mains de l'une d'entre-elles, elles vont "se faire" un film, puis elles iront sur une terrasse de café ; elles pratiquent la marche nordique au jardin du Luxembourg - c'est rare de voir un homme dans ces groupes -, elles s'impliquent dans des organisations charitables pour se sentir utiles, enfin, bref, elles ne s’endorment pas et ne prennent pas la vieillesse pour une fatalité, elles veulent rester jeunes et, comme tout le monde, mourir en bonne santé.
Tiens, pendant que j'y suis, à Paris je vais parfois déjeuner dans un restaurant de la Mairie. Un jour, je me suis retrouvé à côté d'une table occupée par quatre femmes qui illustraient parfaitement ce que je viens d'écrire. Elles parlaient de leurs vacances, comment elles allaient passer leur mois d’août. Et voilà-t-il pas que l'une d'elles se mit à raconter un voyage en car sur la Côte d'Azur, avec la même agence que la mienne. Je le lui fis remarquer.
Son voyage s'était bien déroulé, précisa-t-elle, elle loua le confort et l'équipement audio-visuel, ainsi, dit-elle, nous avons fait une superbe visite de Nice en autocar, avec les écouteurs sur les oreilles pour nous décrire la ville et les monuments. Comme j'étais juste à côté, je lui demandai si elle avait taillé une bavette sur un marché, dans un quartier, sur la fameuse promenade ? Mais non, pourquoi, c'était plus confortable comme nous l'avons fait. Ses trois autres commensales approuvèrent. Enfin, dis-je, je ne voyage pas que pour voir juste des paysages et des monuments, j'aime bien rencontrer l'autre, sans en attendre quoi que ce soit d'ailleurs, enfin, quoi, voir un être humain. Ah surtout pas ! dit l'une de ces dames, moi je ne voyage que pour les paysages et les monuments.
Ce "ah surtout pas !", ce cri du cœur puissant et spontané, me stupéfia.
Bon, dans tout ça, je suis encore loin de la Finlande où nous passâmes en coup de vent, quelques heures bien frustrantes atténuées tout de même par la présence et la faconde d'un guide français, le plus intéressant que nous ayons eu : cela fait trente ans qu'il vit en Finlande !...