Visa
On vous l´a dit. On vous l´a répété, c´est bien beau de vouloir aller en Azerbaïdjan mais pour ça, il vous faut un visa. Et s´il vous prenait l´envie de sortir du pays et de pousser le vice de vouloir y rentrer de nouveau, il vous faut, non pas un visa à entrées multiples, mais un visa à entrée simple + un visa à entrée simple = deux visas. EUR 120.-, aïe le bobo au porte-monaie ! Et ce n´est pas tout...
Pour commencer, arriver à obtenir avant le départ deux informations (quant à la possibilité d´obtenir un visa multiple à l´aéroport) qui se recoupent, relève du duel tennistique sur terre battue, où les deux parties se renvoient inlassablement la balle. Vous demandez «êtes-vous sûr de ce que vous me dites ? », on vous rétorque « oui, évidemment », vous redemandez « sûr, très très très sûr, que ca va marcher ? », on vous répond sèchement « mais puisque je vous le dis ! ». Jusqu´au jeune Azéri sympa de VF qui n´a pas su ou voulu reconnaitre l´évidence : qu´on le veuille ou non, au royaume de l´arbitraire, rien n´est jamais acquis.
Bref, en atterrissant à Bakou en fin de soirée, nous avons dégainé nos passeports dans lesquels ne figurait que le visa iranien. C´est mieux que rien, me direz-vous. J´avais bon espoir que le guichet serait ouvert à cette heure tardive, parce qu´il parait qu´il ne l´est pas en permanence. Or il l´était. Bon à savoir : avant d´aller réclamer son visa, il faut déjà passer par le stand de contrôle des passeports. On reconnait vite les petits futés qui sont déjà venus en Azerbaïdjan, ceux qui se précipitent vers le bon guichet en ramassant dans la foulée le formulaire à remplir, pendant que les néophytes se plantent derrière le mauvais guichet et perdent une demi-heure.
Une fois que tout semblait être rentré dans l´ordre et qu´Achille et moi étions quasiment arrivés au bout de nos peines et de la queue, j´ai entendu l´homme qui patientait devant nous demander au fonctionnaire « what is double ? ». Sur le formulaire, on peut cocher la case « simple », « double » ou « multiple ». J´avais moi-même coché « double » puisqu´on me donnait le choix... Le fonctionnaire, a priori mal luné, a fait « what ? ». Le Monsieur a pointé son doigt sur le formulaire en demandant « what ist double ?» et le fonctionnaire a clos la discussion en lui assenant un « no double ! » plutôt sec. On en était là, peu après notre arrivée.
Il n´y avait aucune raison qu´on nous fasse une fleur. Le message était clair : « si un visa simple ne vous suffit pas, personne ne vous force à rester... ». Achille, de nature optimiste (limite inconscience) a prétendu que ce n´était pas un problème. On irait régler la question le lendemain à Bakou et, en attendant, il fallait qu´on s´occupe dare-dare de trouver un logement pour la nuit.
Le propriétaire de la pension trouvée à Bakou était, lui aussi, confiant et nous a indiqué après le petit-déjeuner où aller pour pêcher un deuxième visa tout frais. Après quoi, nous pourrions nous attaquer en toute sérénité à la découverte de la ville. Le temps évidemment de nous perdre maintes fois et de trouver le bureau en question, la matinée était déjà bien avancée et les Bakounais lève-tôt s´étaient tous donnés rendez-vous ce matin-là. Quelle pagaille !
Par un miracle que je ne m´explique toujours pas, j´ai fini par pouvoir prendre place sur la chaise devant un des deux guichets ouverts. Ca n´empêchait pas untel ou une telle de m´interrompre sans arrêt, avant que je n´aie commencé à poser une seule question, ou de se coller derrière moi en pensant que ça aller faire avancer nos affaires. La fille du guichet n´avait pas l´air beaucoup plus enjouée que son collègue de l´aéroport. Je me souviens avoir articulé calmement et clairement et souri pour finir. Cette nouille jouait les blasées. Entre nous, c´était SON problème... puisqu´elle était certainement rémunérée pour rendre des services et qu´à 18 heures, elle pourrait rentrer chez elle et oublier les bouffons qui n´ont rien de mieux à faire que de sortir puis de rentrer dans le pays.
C´est avoir des idées préconcues contre les Azéris que de penser que tout ira d´office pour le mieux dans le meilleur des mondes...
- Not possible (prononcé sur un ton ferme et définitif)
- Euh... excuse me, ma jolie, mais why ? C´est quoi qui est not possible ? D´obtenir un visa parce que c´est lundi ? C´est Ilham Aliyev qui veut pas ? Vous prenez des risques inconsidérés, si vous faites votre boulot ?
- Try in Tabriz (le der des der-niers mots)
Ben voyons ! On a beau être en vacances, encore faudrait-il avoir le temps, de tryer à Tabriz. A Peine m´avait-elle fait signe que l´audience était suspendue, que deux Azéris se disputaient déjà mes genoux, n´en pouvant plus de patienter cinq minutes.
- Tu vois, je savais que ça marcherait pas (ma mauvaise foi caractéristique)
- Tu nous énerves avec tes « aurait » et tes « devrait » ! Comme si ça changeait quelque chose.
- Qu´est-ce qu´on fait ?
- Réfléchir...
La question qui se posait alors était « Iran or not Iran ?». Aller en Iran pour passer son temps à attendre que les Azéris de Tabriz daignent nous délivrer un visa était certes un choix moyennement tentant... L´autre alternative étant de ne pas sortir d´Azerbaïdjan. Renseignements pris par ci, un çay par là, Achille ne partageait évidemment pas mon avis pessimiste. J´ai fini par appeler le consulat azerbaïdjanais de Tabriz, dans l´espoir d´obtenir un conseil qui nous aiderait à trancher.
- Mais pourquoi vous n´allez pas au bureau des visas, si vous êtes à Bakou ?
- On en vient... Il parait que ce n´est pas possible.
- Ah bon. Bizarre. Moi, je ne peux que vous répéter ce que je vous ai déjà dit : ici, il faut compter minimum trois jours ouvrables.
(...)
- Trois jours avec un coefficient dix d´improbabilité, laisse tomber. Et si on retentait notre chance en insistant fermement ?
Achille a fait « Tope-là ! » et on s´est retrouvés dans la même queue et la même bousculade que quelques heures auparavant.
Messieurs, si vous cherchez chaleur, séduction, complicité, mais aussi détermination et efficacité chez une femme, c´est la dame du guichet de droite du bureau des visas de Bakou qu´il vous faut. Il faut dire que cette fois, je devais arborer mon plus beau regard de chienne battue parce que la demoiselle a souri, s´est levée et est allée discuter deux minutes avec un bel homme inoccupé qui passait par là. Moralité : en Azerbaïdjan, il est impératif de poser la bonne question à la bonne personne au bon moment (sans pour autant avoir à glisser 100 manats dans un décolleté).
J´ai pensé que allez hop ! un tampon et on déguerpit. Trop facile. Il nous a fallu revenir à la fermeture du bureau, et entre temps, aller faire de nouvelles photos d´identité, des photocopies diverses. (Si je retrouve mes notes, je vous donne aussi la traduction de photoshop et copyshop en azéri ). Quand à l´heure dite, nous nous sommes approchés pour la quatrième fois consécutive du guichet, la glandeuse du matin avait repris sa place.
- Aïe aïe aïe, tu vas voir qu´elle va nous trouver autre chose pour pas nous les filer, les visas... que j´ai murmuré, médisante, dans l´oreille d´Achille.
Et non ! En revanche, nous ayant reconnus, elles nous a jeté les passeports sur le comptoir et a encaissé les 120 manats. Si elle avait pu nous gifler, honnêtement, je crois qu´elle l´aurait fait.